Suite aux violences répétées dans les établissements scolaires du Burkina, le ministre des enseignements secondaire et supérieur a initié une rencontre avec les différents partenaires de l'éducation, autour des moyens à mettre en œuvre afin de résoudre ce problème.
C'est sans aucun doute la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. En tout cas pour le ministre Moussa Ouattara, le décès de l'élève Joël Romain Ouédraogo, précédemment en classe de quatrième au groupe scolaire Saint Viateur, est inacceptable.
En la mémoire de ce dernier, une minute de silence a été observée par les participants. De fait, il est un peu plus de 15h ce jeudi 7 février lorsque nous arrivons au Building de l'éducation ou le face-à-face de vérités entre le ministre et ses invités est prévu pour se tenir.
Sur place, l'on nous fait savoir que la rencontre a été finalement programmée dans l'enceinte du Lycée Philippe Zinda Kaboré pour des questions d'infrastructures. Sur ce, direction ‘' le grand Zinda''. Plus précisément dans la salle des professeurs de l'établissement.
La palabre peut enfin commencer
Ils étaient effectivement présents : les associations de parents d'élèves, les syndicats, les associations d'élèves, réunis autour de l'administration. Leur objectif est clair : crever l'abcès de la violence récurrente dans les écoles du Burkina.
Et c'est le ministre en personne qui donne le ton.
Voix ferme, ton grave, Moussa Ouattara égrène les cas recensés ces dernières années, les uns après les autres.
Des cas qui prouvent selon le Professeur, que depuis 1998, l'insécurité s'est invitée voire systématisée à l'Ecole Burkinabè.
Par conséquent, il est du devoir de chacun de jouer convenablement sa partition afin que l'éducation prenne sa place de moteur du développement.
« La famille a démissionné» dixit Moussa Ouattara
Poursuivant sa charge, le ‘‘mess'' n'hésite pas à mettre le doigt sur ce qui lui semble être une démission et une fuite de responsabilité de la cellule familiale ; une situation qui est préjudiciable selon lui, à l'atteinte de bons résultats scolaires.
Sur la base d'éléments d'information dont il dispose, l'orateur principal s'est voulu catégorique : Certains des individus identifiés dans ce qu'il a qualifié d'expédition punitive menée contre le Groupe scolaire Saint Viateur, sont assimilables à des gangsters.
Du reste, des éléments parmi eux n'en seraient pas à leurs premiers faits de guerre. Ils seraient même abonnés à la prise de stupéfiants.
Pour le Professeur Ouattara, il est urgent que l'autorité parentale se réveille.
‘'C'est un problème général de gouvernance publique'' selon le Synther
Mamadou Barro du Synther, lui, n'y va non plus d'une molle critique.
A l'écouter, La question de la violence à l'école doit être appréhendée d'un point de vue globale. Le syndicaliste met en avant le fait qu'il s'agit plus largement d'une question de gouvernance.
L'école n'étant pas un élément isoléà l'intérieur de la société, il note en fin de compte que les nombreuses questions de crimes politiques, de sang et économiques non assumés par les dirigeants ont conduit progressivement à des situations incontrôlables dans les différents lieux de formation et d'apprentissage.
Une réforme sans concertation ? « Moi j'enseigne pour des résultats » dit un enseignant
Comme il fallait s'y attendre la question de la réforme avortée des examens du Bepc et du Baccalauréat a été abordée. Malgré l'insistance du ministre pour que ce point soit mis de côté, il est revenu au galop.
Ainsi à un enseignant qui s'est insurgé contre certains de ses collègues qui se seraient érigés en combattants de cette réforme dans les médias, un autre lui a aussitôt répondu en affirmant que cette réforme n'a pas été conduite en concertation avec les personnes indiquées. En pareille occasion, elle ne pouvait donc pas aboutir.
‘'J'assume les défaillances constatées''
Moussa Ouattara assume totalement sa décision de revenir en arrière, au nom de la préservation de la paix sociale à propos de la réforme des sujets d'examen. Tout comme il dit assumer également sa position sur les notes sanctions qui ont fait des gorges chaudes.
« On a fini de bien m'insulter » et « les gens me sont rentrés dedans à travers la presse » dit-il de façon ironique. Mais c'est cela aussi quand vous êtes responsables.
Autrement dit, dans son entendement, il faut avoir le dos large pour supporter toutes les critiques. Et surtout pour comprendre que les fameuses réformes n'ont été qu'un prétexte pour bien de gens, pour tenter d'assouvir des desseins inavoués.
Sinon affirme-t-il, en réalité, en sa qualité de ministre, il n'est que le maillon final d'une longue chaîne de collaborateurs… Ce qui ne l'a pas empêché de hausser le ton lorsqu'il le fallait.
Que chacun sache tenir sa place
Sur la question des curricula, le point de vue de l'autorité est sans ambiguïté : point n'est besoin d'avoir l'avis des élèves pour reformer.
Une manière de répondre à ceux qui estiment que la concertation devrait prendre en compte cette composante du système éducatif.
Du reste il martèle que dans le projet initial de réforme des sujets, il n'y a rien d'autre à rechercher que le bien des élèves.
A ce rythme-là, poursuit-il, il ne restera plus qu'à demander aux élèves de composer eux-mêmes leurs sujets de devoir !
Ce point de vue a été rapidement balayé d'un revers de la main par un autre enseignant qui estime au contraire qu'il existe des niveaux à partir desquels il est possible d'engager la discussion avec les élèves.
En particulier si ces derniers disposent de structures représentatives crédibles, avec lesquelles l'on peut échanger.
Toutefois, selon des fondateurs d'établissements, le problème qui se pose régulièrement, c'est l'absence d'interlocuteur à leur niveau, dès lors qu'ils se retrouvent face à des mouvements de foule.
‘'Certains élèves sont protégés par l'administration'' selon leurs camarades
Mais que disent les élèves eux-mêmes ? Par la voix de leurs représentants, ils ont pointé du doigt, la passivité supposée de l'administration par rapport à certains cas d'inconduite qui sont signalés.
Ce qui laisse croire que les éléments identifiés bénéficieraient d'une couverture. De làà penser qu'il y a des mains manipulatrices dans l'ombre, il n'y a qu'un pas.
Cette hypothèse de la possible ou probable manipulation est d'ailleurs revenue en boucle dans les propos du ministre.
Comme on peut le constater, les parties, si elles sont prêtes à jouer leur partition, n'entendent nullement porter le chapeau à elles-seules.
Comment résoudre l'équation ?
Pour le directeur du groupe scolaire Saint Viateur, Séraphin Ouédraogo, l'une des pistes pourrait être la convocation d'une grande rencontre nationale pour débattre de la question.
C'est oublier, lui rappellera aussitôt Mamadou Barro du Synther, qu'en 2002 déjà, le sujet avait étéévoqué durant les assises nationales de l'éducation.
Sauf que plus d'une décennie après, les problèmes soulevés n'ont toujours pas été résolus. Plus grave dit-il, l'Etat n'a mis en place aucun mécanisme qui permette d'aider les catégories les plus vulnérables à apprendre dans des conditions acceptables.
Ce qui oblige trop souvent les enseignants à se transformer en assistants sociaux. Enfonçant le clou, Barro, très en verve, est revenu sur la rencontre entre le chef de l'Etat et les scolaires à la suite des événements de 2011.
Là encore, constate-t-il, les engagements pris par le chef de l'Etat n'ont pas été tenus selon lui. Ce qui a donné le sentiment que les préoccupations de ces différents acteurs n'étaient plus une priorité dès lors que la tempête a baissé d'intensité.
Sécurité et communication
Pour sa part, le ministère ne manque pas de propositions. Il explore des pistes par rapport à la question de la résolution même de la violence.
En premier, c'est la question de la sécurisation des écoles en accord avec le ministère chargé de la sécurité. A ce niveau, les démarches ont déjàété entreprises et devraient rapidement aboutir.
Mais le sujet est délicat. Car il met en avant la question sensible du respect des franchises.
L'autre piste avancée c'est celle d'une campagne de communication qui sera lancée dans les jours à venir pour en appeler au civisme et à la non-violence à l'école.
Comme on peut aisément le constater le plus dur reste encore à venir. En particulier concernant les capacités des différents acteurs à transcender les clivages, pour espérer donner au système éducatif burkinabè, les raisons de croire en un avenir moins heurté.
Juvénal SOME
Lefaso.net