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Révision de l'article 37 de la Constitution : Le pouvoir est dans la merde

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Le débat sur la modification de l'article 37 de la constitution burkinabè revient encore sur le tapis. Depuis quelques mois, les partisans du pouvoir parlent ouvertement d'organiser un référendum pour sauter la limitation des mandats présidentiels. Sûrs de l'emporter, ils réaliseront ainsi le rêve de leur champion : mourir au pouvoir comme son père spirituel Houphouët Boigny. La voie parlementaire pourrait également lui offrir la même chose. Mais toutes ces possibilités légales s'avèrent aujourd'hui inopérantes pour rassurer le pouvoir sur ses intentions. Il se rend compte que le projet d'une présidence à vie est une perspective hasardeuse, un piège qui risque non seulement de l'emporter, mais aussi d'évacuer son oeuvre dans l'histoire nationale.

Pour briguer un cinquième mandat successif en 2015 à la tête du Burkina Faso, il suffit à Blaise Compaoré de modifier l'article 37 de la Constitution. Il en a le droit puisque la même constitution ne s'y oppose pas. Ce n'est pas comme au Niger où le constituant avait bétonné l'article, le rendant insusceptible de révision. Le président Tanja n'en avait pas tenu compte. Droit dans ses bottes de général, il avait préféré aller se heurter au mur, occasionnant sa chute. Au Burkina Faso, on n'en est pas encore là. Il semble même que les situations sont légèrement différentes.

Si au Niger, Tanja n'avait ni le droit ni la majorité politique requise pour changer la constitution, ici au Burkina Faso, Blaise Compaoré a non seulement le droit, mais aussi la possibilité dans la mesure où il dispose d'une majorité qualifiée à l'Assemblée nationale pour déverrouiller l'article 37. Sans oublier l'article 161 de la constitution qui lui octroi l'initiative de la révision de la constitution par référendum. Il a donc deux options : la voie parlementaire et celle du référendum. Pour la première option, il n'a pas besoin de se mettre en avant. Il suffit, comme en janvier 1997, qu'il le veuille pour qu'un groupe de députés de sa majorité formule une proposition de loi. Il ne sera pas difficile non plus de réunir les ¾ de députés pour l'approuver.

Dans la configuration actuelle de l'Assemblée nationale (127 sièges), son parti, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), avec ses 70 élus, a juste besoin de 23 autres députés pour faire aboutir le projet. Il peut les gagner avec le groupe parlementaire CFR (10 élus) et le groupe ADF/RDA qui compte 18 députés. A notre connaissance, aucun des partis qui composent le groupe CFR n'est contre la révision de l'article 37. Au contraire, les leaders de ces partis (UPR, CFD/B, RDB) se sont toujours prononcés pour la modification. Toussaint Abel Coulibaly de l'UPR et Diomdioda Dicko de la CFD/B rivalisaient de sorties médiatiques pour montrer leur soutien à cette perspective. Devenus ministres, ce n'est pas maintenant qu'ils vont changer d'avis. Célestin Compaoré du RDB est certes moins médiatique, mais n'en pense pas moins. Quant à l'ADF/RDA, officiellement, ses dirigeants sont contre la révision. Ils l'ont expriméà maintes reprises. Ils l'ont réaffirmé en 2011 lors des travaux du Conseil consultatif pour les réformes politiques (CCRP).

Mais il n'est pas évident que certains élus du parti partagent le même point de vue que leur président. Les agendas politiques des uns et des autres ne convergent plus. Tandis que Gilbert Ouédraogo ne cache pas ses ambitions présidentielles, d'autres réclament leur part du gâteau tout de suite. Le vote étant secret, tout est possible si surtout des propositions alléchantes sont posées sur le tapis. Surtout que certains cadres du parti n'ont pas apprécié la manière dont le président a négocié les postes ministériels lors de la formation du dernier gouvernement. Ils imputent la mise à l'écart du parti par « l'intransigeance » de Gilbert Ouédraogo. Aujourd'hui, ils piaffent d'impatience d'être associés à la gestion du pouvoir d'Etat, même si ces ambitions s'expriment seulement dans de petits cercles privés. Ils font un calcul simple : des postes au gouvernement pour certains élus libéreraient des places à d'autres cadres à l'Assemblée nationale qui rongent depuis longtemps leurs freins.

Un autre facteur qui pourrait être exploité par le pouvoir, c'est la faible fermentation idéologique du « parti de l'éléphant ». Comme le CDP, l'ADF/RDA est un parti de « barons ». La plupart des élus sont de fortes individualités qui ne doivent pas leur élection au parti. L'appartenance au parti n'est donc pas très forte. Elle est généralement un paravent ou un refuge. L'appât du gain conjuguéà la faible cohésion du groupe peuvent alors faire l'affaire des révisionnistes.

L'improbable voie parlementaire

Toutefois, la voie parlementaire ressemble à du déjà vu. On se rappelle que le 27 janvier 1997, le CDP et ses alliés avaient déjà usé de cette procédure pour modifier l'article 37. Cette modification ne leur avait pas porté chance. Malgré la réélection de leur candidat en novembre 1998, l'assassinat du journaliste Norbert Zongo un mois plus tard avait déclenché une grave crise socio-politique qui avait fait vaciller le régime. Tous les acteurs savaient que la question de l'article 37 faisait partie des ferments de la crise. Le Collège de Sages ne s'était donc pas trompé en exigeant dans ses recommandations le rétablissement de la clause limitative des mandats présidentiels. A l'époque, le pouvoir n'avait pas fait de la résistance.

Il était volontiers preneur de la proposition et n'avait pas évoqué de référendum pour demander l'avis du peuple souverain. Cette bienveillance était bien calculée, il fallait calmer la grogne populaire. Les différentes manifestations et grèves déclenchées par le Collectif contre l'impunité lui avait suffisamment mis le feu aux trousses pour qu'il accepte sans broncher l'amendement de la constitution qui ramène non seulement la clause limitative, mais aussi le raccourcissement du mandat de sept à cinq ans. A l'époque, cette disposition d'esprit du pouvoir visait également à adoucir les positions de ceux qui prônaient la rétroactivité du nouvel article 37. Leur argument était que Blaise Compaoré, à la fin de son deuxième septennat en 2005, ne pouvait plus se représenter au regard de l'esprit du nouvel article 37 (et celui de 1991) qui proscrit plus de deux mandats successifs à la tête de l'Etat pour une même personne.

Le Conseil constitutionnel avait tranché, en octobre 2005, dans le sens voulu par le pouvoir. Les compteurs étant remis à zéro, « l'homme du 15 Octobre » pouvait encore rempiler pour deux autres mandats. C'est Montesquieu qui disait que « tous les hommes sont des bêtes. Les princes sont des bêtes qui ne sont pas attachés ». Le temps (l'orage ?) est passé et les princes du Faso sont redevenus libres dans leurs prétentions, même les plus suicidaires. Mais cette fois-ci, il est fort peu probable qu'ils utilisent l'Assemblée nationale pour arriver à leur fin.

Déjà, elle apparait comme la plus impopulaire de toutes les institutions créées sous la quatrième République. Une nouvelle révision par la voie parlementaire va l'abattre définitivement dans l'opinion. Les députés de l'opposition pourraient également choisir de démissionner en bloc. Elle perdra le peu de légitimité qu'elle dispose dans ce cas de figure, donc sans intérêt pour l'opinion nationale et les partenaires extérieurs. C'est pourquoi, il est fort peu probable que l'Assemblée nationale soit, dans le schéma des révisionnistes, l'instrument idéal pour mener leur projet. Il reste la voie du référendum tant agitée.

Le référendum, une bombe politique

Pour les indécrottables, c'est la voie idéale. Le référendum, c'est le peuple qui s'exprime. Par son choix, il confère la légitimité ou non à tout projet qui lui est soumis. Le dernier mot appartient donc au peuple. C'est le discours le plus usité depuis fort longtemps par les partisans de la révision. En mai 2009, c'est l'argument « imparable » trouvé pour contrer le forum sur l'alternance de Zéphirin Diabré. En 2013, le même argument sert encore de parade pour occulter le hiatus entre les engagements pris lors de la crise Norbert Zongo (dont l'article 37 symbolise l'esprit) et les intentions d'aujourd'hui. Toutefois, en dépit des proclamations, les princes savent que le référendum ne constitue pas une solution sûre. D'abord qui va l'organiser ? C'est la grande question. Le référendum va précipiter la crise politique parce que la Commission électorale nationale indépendante (CENI) va voler en éclats. Sa composition actuelle ne tiendrait pas. Il est sûr que l'opposition et la société civile vont se retirer.

Il faudrait alors la recomposer avec des acteurs moins légitimes, même issus de partis dits de l'opposition et de la société civile comme on l'a vu avec le CCRP. Ici encore, on se rapproche du schéma de Tanja qui s'est attaché les services d'une CENI illégitime pour organiser son forfait en août 2009. Les forces vives du pays avaient refusé d'accompagner la forfaiture en boycottant le référendum. Avec quelles forces politiques et sociales le pouvoir burkinabè compte-t-il aller à cette aventure du référendum ? Il y a bien sûr le CDP et les partis de la mouvance présidentielle. Ceux qui sont contre le projet dans le camp du pouvoir s'abstiendront tout simplement de faire campagne. Peu oseraient claquer la porte comme au Niger. Les autres vont mouiller le maillot pour protéger leurs biftecks.

Du côté de la société civile, en dehors de la FEDAP/BC, des associations de quartiers recrutées lors de la campagne des couplées vont combler le vide laissé par les véritables organisations de la société civile. Peut-être que le Mouvement de la paix de Pierre Bidima va refaire surface. Il n'a peut-être pas fini de jouer son « rôle historique » auprès du pouvoir. Son géniteur est devenu aphone depuis les événements de 2011. Du côté des religieux, la méfiance est de mise dans toutes les confessions religieuses. Même chez les plus « accommodants », comme la Communauté musulmane, la question du soutien au projet va diviser. Il suffit de peu de choses pour raviver les querelles qui minent cette organisation depuis des années.

Le vieux Kanazoé n'est plus là pour couvrir de son argent les braises. Chez les protestants également, l'heure est au repli. De par le passé, ils ont accompagné le pouvoir dans ses élections controversées, aux législatives de mai 1997 et en septembre 2000. Les pasteurs Samuel Yaméogo et Issiaka Flavien Tapsoba étaient respectivement à la tête de la commission électorale à ces deux dates. Sont-ils prêts à rejouer le jeu dans une situation aussi clivante ? Ce n'est pas certain.

La Maison-Blanche a dit clairement son opposition aux tripatouillages des constitutions pour se maintenir au pouvoir. Elle l'avait fait savoir à Wade et elle observe Blaise Compaoré. Les signaux donnés à travers les câbles diplomatiques sont hostiles. Quand Washington est contre, très peu de pasteurs disent oui. Chez les catholiques, la position est claire depuis 2010. Dans une déclaration des évêques de l'épiscopat Burkina-Niger, l'Eglise a dit qu'elle ne souhaite pas une modification constitutionnelle qui « menacerait la paix sociale ». Même si elle a participé aux travaux du CCRP, c'était pour réaffirmer cette position.

Devant la réticence des principales forces politiques et sociales du pays, le pouvoir court un gros risque en organisant son référendum. Les résultats ne changeront rien à la donne. Il va sortir forcement affaibli. Sa légitimité sera mise à rude épreuve à chaque montée de mercure sociale et politique.

Risque de radicalisation des luttes sociales et politiques

Les partisans de la révision sont mal servis par le contexte national. Le climat social est tendu depuis février 2008 avec les émeutes de la vie chère. A l'analyse, la colère ne fait que monter dans presque toutes les catégories socio-professionnelles blasées par les promesses de l'émergence. Elles sont convaincues qu'elles sont les laissés-pour-compte des taux de croissance mirobolants de ces dernières années. Les manifestations violentes de 2011 ont montré la fragilité du système dans tous ses états. L'Etat était en ébat quand les militaires s'en sont mêlés. Cette année, c'est au niveau de l'université et du secteur de la santé que la crise refait surface. La chasse au Premier ministre sur le campus a révélé l'ampleur de la défiance vis-à vis de l'autorité publique.

Aujourd'hui, aucune autorité de rang ministériel n'ose s'aventurer à l'université. Quand dans un pays, on voit le mouvement de circulation des autorités réduit, c'est un indicateur qui ne trompe pas sur la déliquescence des rapports entre ces dernières et les partenaires sociaux. Les violences qui accompagnent les mouvements sociaux ou les tensions intercommunautaires ces dernières années traduisent l'incapacité des pouvoirs publics à prendre en charge ces questions de façon adéquate. Le malaise est profond et les déflagrations sociales sont possibles partout. Les cadres habituels de dialogue que sont les syndicats et les mouvements des droits d l'homme sont devenus inopérants, sinon peu crédibles pour porter les préoccupations des populations. Ceux qui le demeurent encore se voient souvent déborder par leur base. Il n'y a rien de plus inquiétant dans un pays quand les cadres institutionnels et sociaux ne répondent plus. La situation sociale au Burkina n'est pas loin de ce stade.

Dans ce contexte, une autre crise politique ouverte avec la révision de l'article 37 est un gros danger pour la fameuse stabilité chantée par le régime comme son acquis le plus important. On sait que les causes qui ont engendré les mutineries en 2011 n'ont pas totalement disparu. La place du Régiment de la sécurité présidentielle (RSP) continue de diviser dans l'armée. Disposant d'un état-major parallèle, il fonctionne comme une armée dans l'armée avec un arsenal plus sophistiqué. Ses officiers et ses soldats sont mieux traités que les autres. Ils bénéficient en plus d'une forme d'impunité quand ils se rendent coupables de certains délits et crimes. Depuis plusieurs années, ils sont cités dans d'horribles crimes, mais aucun n'a connu un aboutissement judiciaire. Les plus récents sont les meurtres des jeunes filles de Karpala et de Dassasgho.

Ces deux cas ont suscité de vives réactions des jeunes et des femmes dans les quartiers. Ils ont vécu des scènes d'inti-fadha avec des pneus brûlés sur la chaussée et des jets de pierre sur la police. Des frustrations de ce genre existent ailleurs. Il n'est pas exclu que la révision de l'article 37 accélère le mouvement fédérateur qui leur manque jusqu'à présent. Le pouvoir pourra-t-il faire face à une nouvelle crise ? Le président Blaise Compaoré avait réussi, à sa prise du pouvoir en octobre 1987, à faire une alliance entre l'élite traditionnelle jadis écartée du pouvoir par la révolution et une partie de l'élite révolutionnaire. Aujourd'hui, cette coalition au pouvoir connait des fissures. Les « marginalisés » du système deviennent de plus en plus nombreux et ceux qui y entrent ne constituent pas une force de frappe. Du côté militaire, l'élite qui tire les rentes du pouvoir est complètement discréditée par l'affairisme, le détournement des soldes et avantages des soldats et le relâchement moral.

Ce sont les mêmes ingrédients qui ont précipité la décomposition de l'armée malienne. Le Burkina a-t-il une chance d'échapper au scénario malien ? La réponse dépend en partie de ceux qui nourrissent ouvertement le rêve d'une présidence à vie.

Abdoulaye Ly MUTATIONS N° 27 du 15 avril 2013. Bimensuel burkinabé paraissant le 1er et le 15 du mois (contact :mutations.bf@gmail.com)


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