Le lundi 18 Mars 2013, a connu la visite de l'Université de Ouagadougou par le Premier Ministre Luc Adolphe TIAO, qui voulait réaliser "un vœu longtemps exprimé, mais dont la concrétisation a été soumise à de nombreuses vicissitudes qui l'ont toujours retardée, au point que certains doutaient de sa sincérité". Le Premier Ministre aurait voulu que ce fussent une rencontre, une rencontre entre l'autorité et l'ensemble de la communauté universitaire, un moment d'échange avec ces hommes et ces femmes qui font du savoir, de son acquisition, de sa transmission et de sa mise en pratique, la trame de leur vie.
Une occasion d'hommage, de reconnaissance au dévouement de ceux à qui l'avenir des jeunes qui est aussi celui de la nation a été confié. Il s'agissait aussi de s'adresser aux milliers d'étudiants du campus universitaire de Ouagadougou qu'il a brièvement fréquenté dans sa jeunesse.
Pour une première visite, les jeux en valaient donc la chandelle. Malheureusement, l'optimisme affiché a vite viré au désenchantement. La suite est connue, et de nombreux écrits et commentaires en ont été faits. La visite ne s'est pas terminée comme prévue. Le Premier Ministre a dû interrompre son discours suite à des coupures de courant récurrents et des jets de pierres, et a dû animer un point de presse dans la soirée à la primature pour livrer les éléments essentiels de son message.
Un premier Ministre lapidé et hué par des étudiants dans un temple de savoir où devrait prévaloir la force de l'argument au détriment de l'argument de la force, faut-il en rire ou en pleurer ? Certes il n'a pas connu le sort de Diacounda TRAORE du Mali, mais avouons tout de même que c'est déplorable et regrettable. Il nous semble que le Premier Ministre ou du moins ses services de renseignements aient fait une erreur monumentale d'évaluation et d'appréciation de la situation et l'état d'esprit qui prévalent réellement à l'université de Ouagadougou. Tout semble avoir été fait sur le "yéllé kay" et le "ya foé" légendaires dont nous nous prévalons en toute circonstance.
Le Premier Ministre l'a si bien dit " l'Université d'aujourd'hui n'est plus celle que nous avons connue. Les conditions d'étude et de vie semblent plus difficiles, les effectifs croissent plus vite que les infrastructures et les services offerts. Les moyens de l'Etat et des ménages n'arrivent plus à couvrir les besoins, les attentes ou les prétentions". Il devrait donc aussi savoir que les étudiants d'aujourd'hui ne sont plus ceux qu'ils ont été dans les années 80. Si dans les années 80 le succès au Bac constituait de facto le rêve de l'accès à un mieux être, à une vie meilleure, aujourd'hui, le succès au bac constitue pour beaucoup d'étudiants, le commencement d'une vie de misère, de galère et de renoncement au minimum vital. L'étudiant d'aujourd'hui souffre tellement à mourir qu'il oublie de vivre. Il se contente de survivre.
Aujourd'hui, être étudiant à Ouagadougou, c'est être très impatient de son présent tellement c'est misérable, c'est être ennemie de son passé tellement ce fut misérable, c'est se sentir privé d'avenir tellement tout semble trouble et bouchéà l'horizon. Monsieur le Premier Ministre tel semble être l'état d'esprit de la majorité des étudiants que vous avez rendu visite ce 18 mars 2013. Ils se sentent condamnés à croupir dans la misère et dans le désespoir. Or ce qui distingue l'homme de la bête, il semble que ce n'est point l'intelligence, c'est la faculté d'espérer. Perdre sa raison de vivre est plus triste que de perdre sa vie, perdre sons espérance est plus triste que de perdre ses biens.
Certes comme le disait Jean Paul SARTRE, "il est impossible d'apprécier correctement la lumière sans connaitre les ténèbres" mais à force de végéter dans les ténèbres on finit par perdre même la vue et la vie. Le climat qui prévaut à l'université de Ouagadougou n'est rien d'autre qu'un cumul de déception et de désespoir face aux engagements non tenus des pouvoirs publics ce qui effrite sans cesse le peu de confiance entre l'administration et les administrés.
A chaque crise universitaire, un bon diagnostic semble toujours avoir été fait, on fait juste un traitement symptomatique, beaucoup de promesses et le mal reste en état ou du moins va de mal en pis. Après l'année invalidée en 1999-2000, on est passé de faculté en Unité de Formation et de Recherche (UFR) ; ensuite on est passé au virage mal négocié du système LMD qui est sur le point de nous conduire tout droit au "blanchiment technique" qui semble être la nouvelle trouvaille et le traitement de choc. Une fois de plus, on prend juste la température, on administre un antipyrétique, on casse ensuite le thermomètre et on observe le patient agonisant condamnéà une mort certaine. Il nous semble que les autorités n'ont aucun respect ni aucune considération pour les étudiants et sur leur aptitude à analyser leur avenir.
Quand le Premier Ministre dit que "Nous n'avons jamais dit qu'il y aura une année blanche" et " le blanchiment technique n'est pas synonyme d'année blanche et n'a pas de conséquence sur la carrière des étudiants", de qui se moque t-il ? Appelons un chat, un chat. Quand une autorité prend une décision courageuse et consensuelle, elle l'assume jusqu'au bout mais ne tourne pas autour des maux et des mots. N'ya t-il aucune conséquence de carrière pour un étudiant inscrit depuis 2010-2011 et qui en 2012-2013 se trouve toujours en première année à cause d'un système LMD mal appliqué ?
Même si le gouvernement ne se dit pas coupable, il devrait au moins assumer sa responsabilité dans toute cette cacophonie universitaire. Gouverner, c'est prévoir. Le fait que selon le Premier Ministre "Le nombre d'étudiants pour ne prendre que l'exemple des deux dernières années, est passé de 60 998 en 2010/2011 à 68 796 (dont 22 434 filles) en 2011/2012, soit une croissance de 13%" ne saurait être une excuse. Le taux de natalité et la croissance démographique du Burkina Faso n'est un secret pour personne. Le problème est que, pour des raisons inavouées, les autorités semblent privilégier une alphabétisation de masse au détriment d'un enseignement de qualité. Le blanchiment technique ne saurait être une panachée. Blanchir techniquement 2010-2011 et 2011-2012, c'est noircir techniquement 2012-2013. Trois promotions se cumuleront (2010-2011, 2011-2012 et 2012-2013) et fusionneront. Dans quelle salle suivront-ils les cours ? Quels enseignants avec une moyenne d'âge de 55 ans pour dispenser tous ces cours ? Quelles mesures d'accompagnement ?
Le blanchiment technique ne semble être que le commencement des problèmes. Plaise au ciel que des mesures efficaces et efficientes soient prises et mises en œuvre pour que l'université de ouagadougou retrouve sa noblesse d'antan. Que la jeunesse soit placée au centre des préoccupations de nos chers gouvernant car une société qui néglige sa jeunesse est une société condamnée au conservatisme et à l'anéantissement.
Dr Issaka SONDE
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