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Zabré : Un assassinat collectif

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Le 31 décembre fut une journée macabre à Zabré. Devant des forces de l'ordre impuissantes ou timorées, des autorités effacées, des manifestants décident de « se rendre justice ». Ils commettent au grand jour un sextuple assassinat. Sambo Bandé accusé de vol et de recel de bétail est tué avec une partie de sa famille.

C'est aux environs de 13h que la population a convergé vers le domicile de Sambo, après avoir été au commissariat de police et à la gendarmerie. On estime entre 500 et 600, le nombre de personnes qui s'étaient regroupées devant la famille de Sambo. Ce sont des gens venus principalement de Sangou, de Yorko, de Gon et de Zabré centre. La coïncidence du jour avec le marché de Zabré a contribuéà ce qu'il ait une grande foule. Ils étaient armés de fusils et d'armes blanches, mais à côté de ceux qui en voulaient à la vie de Sambo, il y avait aussi de nombreux badauds, entrainés par leur simple curiosité. Selon un jeune, L.Y. qui était présent sur les lieux en observateur, les premières intentions des assaillants étaient d'incendier seulement la cour de Sambo. Ils s'attendaient à trouver une concession vide, mais il se trouve que la concession de Sambo abritait aussi ses deux parents qui à cause du poids de l'âge, ne pouvaient pas s'en tirer aisément.

Pour ces raisons, Sambo (aidé par des individus armés) avait préparé sa défense. De source militaire, Sambo et ses anges gardiens étaient mieux armés que la foule en termes de puissance de feu. Ils utilisaient des armes de guerre, dit-on. Les tirs à balles réelles avaient obligé la foule à se masser à 500 m environs de sa concession. Selon le chef de Zabré, il s'est déplacé personnellement sur les lieux en compagnie du préfet, du commandant de Brigade de la gendarmerie. Arrivés sur place, le chef et les autres n'ont rien pu faire.

Selon le chef, Sambo les a vus venir et il continuait de tirer, si bien qu'on ne pouvait même pas lui parler. Les proches de Sambo expliquent que la foule avançait en même temps que le chef et les autorités. Ces autorités se sont repliées. Quelques instants après, le chef apprend la mort d'un Bissa du nom de Bancé Nombo. Il était 14h environ. Selon une source anonyme qui a pris part à la manif, le Bancé qui est tombé est le grand frère d'un des jeunes Bancé que Sambo avait convoquéà la gendarmerie le 26 décembre à la suite d'une altercation. Bancé Nombo se moquait de la lâcheté de la foule qui se tenait à distance. Il vit dans le même secteur que Sambo. Il est alors rentré chez lui et en est ressorti avec un fusil de calibre 12 pour, disait-il, en finir avec Sambo. Celui-ci a vu le jeune homme avancer.

Par un tir hasardeux ou visé, le jeune homme a été abattu. La foule, prise de panique, s'est retirée, mais elle est vite revenue à la charge et plus déterminée. L'arrivée de la CRS pour tenter de sortir des gens du domicile de Sambo a été une aubaine pour les manifestants qui en ont profité pour gagner en terrain. A l'arrivée de la CRS, deux des personnes qui étaient avec Sambo sont parties de la maison sur une moto apache jaune. Elles sont parties par la brousse en direction de Tenkodogo. A Zabré, on pense que ce sont ces deux personnes qui sont parties avec les « armes de guerre » de Sambo. Il ne restait plus que Sambo et avec une kalach comme seule arme. Le véhicule de la CRS est entréà l'intérieur de la concession et pendant que le véhicule y tournait et que les CRS parlaient à Sambo, la foule armée en profitait pour s'approcher dangereusement de la concession. C'est une seule personne ou deux selon les sources que la CRS a réussi à sortir.

Le risque était devenu trop grand pour la CRS qu'elle a vite fait de se retirer de la concession. Certains éléments de la police ont dû même rattraper le pick-up en courant. On pense que Sambo ne devrait pas s'en sortir si bien que même s'il était montéà bord du pick-up, ce sont les flics qui n'allaient pas être ménagés. Deux éléments de la CRS ont tout de même été blessés dans cette tentative de sauvetage. La police a disparu en toute vitesse et c'est une foule armée qui a pris d'assaut la cour. Sans autre forme de procès, les locataires sont passés aux cribles des balles. Les personnes tuées, au nombre de six, sont nommément Sambo lui-même, Bandé Djela (son papa), Diao Awa (sa maman), Bandé Yébandé (son cousin), Bandé Djarhé (son neveu) et Diao Mariam (sa nièce).

Ces morts encombrants

Sambo et les cinq autres membres de sa famille ont été tués le 31 décembre aux environs de 16H. Il a fallu attendre le 1er janvier à 17 heures pour que les corps soient ensevelis. C'est à 17h50 que l'enterrement a totalement pris fin. Les corps sont restés exposés pendant plus de 24h. C'est le maire de la commune, Désiré Zagré, qui a pris les initiatives pour l'enterrement. N'était-il pas possible de donner à chaque mort une sépulture à part au lieu de faire une fosse commune ? Selon le maire, il fallait parer au plus pressé. Après le constat de la gendarmerie, les corps n'étaient plus en état de pouvoir attendre plus longtemps.

Aussi, avons-nous compris, il manquait de ressources humaines à Zabré pour creuser six tombes dignes pour les six Maccabées. Le maire a dû faire appel à une société minière, Burkina Mining Company (BMC) pour enterrer les corps. La mine a fait venir une pelleteuse (machine à grande pioche) transportée sur un porte-char. La machine, en quelques coups de pioche, a creusé une profondeur acceptable pour les six corps. Ils ont été, selon le maire, enveloppés chacun dans une natte avant d'être mis ensemble sous terre. Quant au premier mort de la journée, Bancé Nombo, il a été pris en charge par sa famille qui s'est occupée de son inhumation.

Deux chiens veillent sur la tombe de Sambo

Nous n'avons pas pu approcher la fosse commune qui fait office de tombe de Sambo. A dix pas du monticule, deux chiens sont couchés et menacent quiconque tente de s'approcher de la tombe. La tombe est à quelques 100 mètres de la concession. Un troisième chien moins belliqueux rode à l'intérieur de la cour. Une quatrième vie dans cet endroit sinistre, c'est un poussin qui piole et qui picore dans les résidus laissés par le passage du feu. Selon notre guide sur les lieux, les chiens n'auraient pas mangé depuis le drame du 31 décembre (Nous étions au 12 janvier) qui a emporté pas seulement leur maître. Cela pourrait justifier l'agressivité des bêtes carnivores.

L'histoire de Sambo et sa famille

Sambo avait la cinquantaine. Il est néà Zabré, dans la même concession où il a été tué avec ses deux géniteurs. Son papa qui avait plus de 80 ans serait, selon une source, le doyen d'âge à Zabré. Le secteur 7 où ils sont installés est propice à l'activité d'élevage à cause de sa proximité avec un important barrage du village de Zourma. Le secteur est assez éloigné du centre-ville et il est frontalier avec les villages de Zourma et de Gon. Sambo était connu aussi bien comme agriculteur qu'éleveur. Autour de sa concession incendiée, des enclos de bétail côtoient ses champs de céréales. Sambo était également commerçant de bétail. Sa concession est presque isolée. Il est voisin à quatre concessions peulhs qui ont été toutes aussi incendiées après celle de Sambo. Les concessions bissa les plus près sont à 500m au moins de son domicile. C'est une grande cour.

Après le passage des flammes qui ont tout ravagé dans la cour, nous avons compté deux cases rondes et onze maisons en tôle dont certaines sont en dur et d'autres en banco. Comme matériel qu'on a pu constater, c'est d'abord son véhicule 4X4 posé au milieu de la cour, consumé jusqu'à la carrosserie par les flammes. C'est à côté de son véhicule que Sambo est tombé. Une partie de son corps a été brûlé (les membres inférieurs jusqu'au niveau de la ceinture) de même que sa nièce aussi a brûlée en partie. On voit aussi dans la cour, de nombreux cycles brûlés. Il semble que ces vélos paniers lui étaient régulièrement envoyés par son frère qui vit en Italie et Sambo les plaçait chez des commerçants pour vendre. Sambo vivait avec une famille nombreuse.

Selon un membre de la famille, ils étaient 32 personnes qui y vivaient. Il y avait Sambo lui-même, ses deux parents, les enfants de ses frères et sœurs, son cousin (qui est tué avec lui), ses quatre femmes, cinq de ses propres enfants et d'autres proches parents. Sambo avait 10 enfants biologiques. Les cinq qui ne vivaient pas avec lui étaient soit mariées (les filles) soit ils étaient envoyés à l'école dans d'autres localités. Sambo est issu d'une fratrie de sept enfants dont 3 frères et quatre sœurs. Ses deux frères sont l'un en Italie et l'autre en Allemagne. Son neveu Bandé Djarhé, qui a été tué avec lui, est le fils de son frère qui vit en Italie. Les 10 enfants biologiques et les 4 femmes de Sambo ne comptent pas parmi les personnes tuées. Selon sa dernière épouse, une bonne partie de la famille a pris la fuite dès qu'ils ont vu de loin la foule venir. Ils ont été dans un premier temps reçus dans une famille bissa qui les a cachés avant qu'ils ne se sauvent la nuit vers des lieux plus rassurants. Certains ont passé la nuit du 31 décembre cachés dans la brousse et le 1er janvier, certains, aidés par des Bissa compatissants, ont pu être remis aux forces de sécurité qui procédaient au ratissage des personnes inquiétées pour les amener sur le site des déplacés.

Aujourd'hui, la famille de Sambo est une famille dispersée. Malgré l'appel des autorités au retour des déplacés dans leur site habituel, la concession de Sambo pourrait être abandonnée à jamais. Une autorité locale nous a laissé entendre : « Je suis presque sûr que la famille de Sambo ne reviendra plus ici ». Cela, pas parce que ceux qui restent seront persécutés à Zabré, mais à cause de l'horreur et du traumatisme que ces évènements leur laissent.

Cédric Kalissani

MUTATIONS N° 21 du 15 janvier 2013. Bimensuel burkinabé paraissant le 1er et le 15 du mois (contact :mutations.bf@gmail.com)


Sambo est-il le malheur de Zabré ?

Dans certains milieux à Zabré, on se refuse à parler de conflit entre Peulhs et Bissa. Le conflit de Zabré n'entrerait pas non plus dans le vaste champ des conflits agriculteurs-éleveurs. Alors de quoi s'agit-il ? Pour la communauté bissa, il s'agit simplement d'une situation d'impunité qui vient de connaitre son épilogue. Le sieur Sambo Bandé est l'homme qu'on place au centre de toute la crise. L'homme aurait construit une triste réputation dans le « vol et le recel de bétail ». Le 12 janvier, au cours de la réunion entre le haut-commissaire, les autorités locales, les autorités coutumières et religieuses, le chef de Gon a martelé plusieurs fois, « le Leeré (ndlr : le Leeré est l'appellation de la réunion des 3 communes Zabré, Zaoga et Zonsé) a été appauvri à cause du vol de bétail ». Personnellement, le chef se présente en victime de ces « vols récurrents » dans leur zone et qui sont imputés à« Sambo et sa bande ». On estime à plus de 2000 têtes les bœufs de Sambo.

L'homme a été plusieurs fois interpellé et même incarcéré, mais il est toujours relaxé avant expiration de sa peine. De source sécuritaire, Sambo a été déféré il y a quelques trois mois à la maison d'arrêt de Tenkodogo pour une affaire de recel de bétail, mais il n'aurait pas expiré sa peine. Si les accusations de corruption et de complicité sont avérées, Sambo ne devrait pas être le seul à payer. De nombreuses personnes sont autant remontées contre Sambo qu'elles le sont contre les autorités judiciaires et les forces de l'ordre. Si on ne peut affirmer que la population Bissa a fêté la mort de Sambo, on est tout aussi catégorique qu'on n'a pas pleuré sa mort. Les quelques remords, d'ailleurs difficilement perceptibles à Zabré, vont à l'endroit des Peulhs qui ont été chassés et qui ont tout perdu dans les incendies de leurs concessions.

CK

MUTATIONS N° 21 du 15 janvier 2013. Bimensuel burkinabé paraissant le 1er et le 15 du mois (contact :mutations.bf@gmail.com)


De la responsabilité des forces de sécurité

Est-il possible de penser que Sambo aurait pu être sauvé et avec sa famille ? Dans les mêmes conditions, si le scénario était à reprendre, Sambo serait toujours tué. En l'absence d'une force de sécurité apte, tous les drames de ce même genre sont possibles. On a constaté une absence quasi-totale des forces de sécurité du début à la fin du déroulement du drame. La CRS, le seul corps qui s'est présenté sur le champ des tirs ce 31 décembre, est arrivé très en retard et était en infériorité numérique devant les frondeurs. Consciente de ses limites, elle n'a pas eu de prétention face à sa mission. Elle n'a pu sauver que deux personnes tout au plus ; elle a surtout sauvé ses propres éléments pris au piège de la foule. Les forces locales étaient dans l'immobilisme. La gendarmerie et la police locales n'ont pas été sur le terrain des affrontements entre Sambo et la foule.

Les deux forces se sont contentées de s'auto-protéger en restant au niveau de leur base. La gendarmerie compte sept (07) éléments selon le maire. Sans renfort, toute tentative aurait été périlleuse pour les pandores qui n'étaient plus « une force humaine » comme le dit leur slogan. Les premiers renforts de gendarmes venus de Ouagadougou et d'autres localités proches sont arrivés à Zabré autour de 19h. Le foyer était déjà refroidi. La gendarmerie a surtout veillé au respect des couvre-feux du 31 décembre et du 1er janvier et procédé par la suite à des interpellations. Plus de 100 personnes sont interpellées et déférées à Tenkodogo. Quant à la police, elle s'était déjà discréditée dans l'histoire de la tentative d'arrestation de Boussim.

La confiance s'étant envolée entre la police et la population, elle n'avait plus ni la force ni le moral pour faire face aux manifestants. En termes de prévention, làégalement, notre système de sécurité n'a pas fonctionné. Il y a eu suffisamment d'antécédents (lire « Tout le monde a vu venir, les autorités n'ont rien pu faire »), qui devraient mettre les autorités en charge de la sécurité en alerte. Laxistes, elles ont été surprises et finalement débordées.

CK

MUTATIONS N° 21 du 15 janvier 2013. Bimensuel burkinabé paraissant le 1er et le 15 du mois (contact :mutations.bf@gmail.com)


Deux morts supplémentaires

On savait que la journée du 31 décembre a fait sept morts. Aux cours des déplacements des populations chassées, deux enfants ont également perdu la vie. Le malheureux papa, Zama Diao, ne sait pas de quoi sont morts ses enfants. De maladie ou de chocs dus à la course affolée ? Les deux enfants étaient âgés de 4 ans l'un et l'autre de 6 mois. Ces deux décès sont survenus le même jour, le 1er janvier. Les mères des enfants et les autres membres de la famille s'étaient réfugiés en territoire ghanéen. Le premier enfant est mort sur le sol national et le deuxième est mort sur le sol ghanéen. Ils ont été enterrés sur place, selon leur père.

CK

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