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Luc perd le contrôle de son gouvernement

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Le politique a repris ses droits dans la formation du gouvernement après l'année et demi des « technocrates ». Quoi de plus normal, pourrait-on dire, surtout que le Premier ministre lui-même est descendu dans l'arène avec sa candidature à la députation. Mais en se positionnant en politique plutôt qu'en technocrate, Luc perd paradoxalement la main dans le choix de ses collaborateurs. L'alchimie gouvernementale a été préparée dans des officines dont il ne maîtrise ni les agendas ni certaines motivations. Cette fois-ci, la tâche n'a pas été du tout aisée pour le journaliste. La copie était difficile à rendre avec des deadlines prolongés.

Les tractations ont duré plus que prévues parce que certains protagonistes faisaient de la résistance. Jusqu'à la dernière minute, « le Premier ministre du 31 décembre » (il a été reconduit à cette date) avait du mal à rassembler l'attelage de son équipe. Pour cause, les deux pôles de décision du pouvoir au Burkina Faso (la présidence et François Compaoré) avaient presque accaparé tous les portefeuilles ministériels dignes de ce nom, laissant le menu fretin au Premier ministre qui avait ensuite des difficultés à convaincre certains alliés ou amis à les prendre. D'abord il y avait le quota du chef de l'Etat.

Sur les 32 postes, Kosyam en a pourvu au moins huit dont les trois ministres d'Etat (Bongnessan Yé, Assimi Kouanda et Djibril Bassolet), celui des Finances (le beau-frère Bembamba), les Sports et Loisirs (le colonel Yac), les deux départements (Environnement et Action sociale) octroyés aux « refondateurs », sans oublier l'économiste de la présidence, Emile Basga Dialla qui a longtemps présidé le CAPES, le Think tank économique de Kosyam. Il remplace Achille Tapsoba à la Jeunesse et Emploi. Avec le départ de ce dernier, c'est toute la clique des anciens du CDP qui a été désormais virée de l'exécutif. Les « militants historiques » n'ont plus leur place dans la nouvelle configuration du pouvoir qui se dessine.

En revanche, l'attelage qui se met en place a encore besoin des alliances de circonstances pour ne pas grossir le rang des mécontents. Ils ne feront pas l'erreur de Maurice Yaméogo sous la Ière République qui avait réussi à se mettre à dos plusieurs acteurs politiques et sociaux, avec le mauvais rôle joué par son cousin, Dénis Yaméogo, ministre de l'Intérieur. C'est ainsi qu'il faut comprendre le repêchage des « Refondateurs » au gouvernement. Selon des sources concordantes, leur entrée dans l'exécutif a été négociée directement entre Hermann et son groupe et la présidence. Ils auraient réclamé au moins quatre portefeuilles, mais au finish, ils n'ont obtenu que deux. Ayant fait piètre performance lors des dernières élections, ce groupe ne pouvait pas exiger plus que ça dans le gouvernement.

Composé de quatre principaux partis (l'UNDD, le PSR/L'Autre Burkina, le PITJ et le RDEBF), ce regroupement qui a fait des « reformes politiques » son cheval de bataille depuis 2007 a seulement engrangé un élu national (UNDD) et 168 conseillers municipaux sur plus de 18 000 dont zéro pour le parti de Alain Zoubga, nouveau ministre de l'Action sociale. Après les deux postes dans l'exécutif, ils attendent d'être également pris en compte dans la composition du Sénat. Là aussi, ils bénéficieront du fait du prince qui a un quota dans le choix des sénateurs. Certaines sources annoncent Hermann, Soumane et Ram dans cette institution qui verra jour dans quelques mois.

François se taille la part du lion

Il y a ensuite la cohorte des ministres du « petit président ». Ils se confondent désormais aux responsables du CDP. Il y a les fidèles parmi les fidèles, à l'instar de Salif Kaboré des Mines et de l'Energie, Arthur Kafando du Commerce et Jérôme Bougma du MATS. Viennent ensuite des technocrates proches de la famille ou ayant rendu de grands services à un moment donné. Il faut y compter les ministres Jérémie Tinga Ouédraogo de l'Elevage, Jean Bertin Ouédraogo des Infrastructures, Yacouba Barry de l'Habitat, Jean Coulidiaty des Economies numériques, Vincent Zakané de la Fonction publique et Dramane Yaméogo de la Justice. Le poste de ce dernier est l'illustration parfaite de la politique de récompense personnelle et non politique en cours dans le cercle proche de François Compaoré.

Procureur quand éclate l'affaire David Ouédraogo, chauffeur torturéà mort par des soldats du régiment de la sécurité présidentielle, Dramane a joué des mains et des pieds pour soustraire « Monsieur le conseiller » de la procédure de « crime et recel de cadavre », chef d'inculpation décerné contre ce dernier par les deux premiers juges d'instruction. Il a par ailleurs tenté d'étouffer la voix de la presse, notamment Norbert Zongo par des convocations au palais et des mises en garde contre la publication de communiqués du SADO, un collectif de soutien à la famille de David Ouédraogo. La suite est connue, la voix de Norbert est définitivement étouffée le 13 décembre 1998 à Sapouy et le procès contre les « grilleurs du Conseil » a épargné celui qui a fait appel aux soldats, cité comme simple témoin. Trois militaires sont condamnés. Marcel Kafando (20 ans), Edmond Koama (15 ans) et Ousséni Yaro (10 ans). Les deux premiers sont décédés et le troisième a bénéficié d'une grâce présidentielle.

L'affaire David est ainsi close au niveau de la Justice. Dramane Yaméogo est aussi éloigné du palais. Il atterrit à Abuja comme ambassadeur. On ne lui connait pas d'activités politiques. Très discret comme son mentor, il s'est fait oublier de l'opinion publique pendant quelques années. En acceptant ce portefeuille, il convoque de mauvais souvenirs chez bon nombre de Burkinabè qui réclament la lumière sur le quadruple assassinat de Sapouy. Chez lui, le retour de l'ascenseur se poursuit.

Deux postes pour les mouvanciers

La composition du gouvernement a aussi tenu compte des alliés. Si l'ADF/RDA qui sort ragaillardie des élections couplées avec 18 élus nationaux et 1746 conseillers municipaux a trouvé ridicule la proposition à lui faite de garder ses deux portefeuilles avec deux autres ministères délégués, deux autres partis, eux, n'en demandaient pas plus. L'UPR de Toussaint Abel Coulibaly conserve son portefeuille avec en prime une petite promotion. Il n'est plus simple ministre délégué, son département ayant étéérigé en ministère entier, celui de l'Aménagement du territoire et de la Décentralisation. A l'échelle du parti qui a engrangé six sièges à l'Assemblée nationale et 438 conseillers municipaux, ce n'est pas bien récompensé.

Mais ce parti est la chose du huissier de justice, celui qui a fait un droit de réponse à Norbert Zongo juste pour dire qu'il n'est pas « brave ». Le journaliste l'avait gratifié de ce qualificatif pour magnifier l'acte d'aller au Conseil remettre la convocation de François Compaoré dans l'affaire David Ouédraogo. Ayant eu des sueurs froides après cette intrusion au Conseil, il entreprit de se racheter en battant activement campagne pour le candidat Blaise Compaoré en novembre 1998 lors de la présidentielle. En 2002, il est élu député sous la bannière de l'APL, le parti de Madame Joséphine Tamboura avant de créer le sien. Quant au président de la CFD/B, Diomdioda Dicko, c'est un come-back dans le même ministère délégué chargé de l'Alphabétisation non formelle.

Il avait fait un bref passage à ce poste sous Paramanga Ernest Yonli. Il bénéficie certainement de la donne géo-régionale toujours présente dans la composition des gouvernements de la IVème République. C'est le visage de certaines communautés au Sahel où il a pu conserver son assise politique en remportant un siège dans l'Oudalan et plusieurs communes dont le chef-lieu de la province, Gorom-Gorom.

Que reste-t-il pour le PM ?

Il ne lui reste que des ministères où il n'a pas beaucoup de choix. Leur spécificité fait qu'on y met généralement un de la maison. C'est le cas des deux ministères en charge des Enseignements, du ministère de la Recherche et celui de la Santé. Il ne lui reste que la Communication et la Culture pour caser ses amis Alain Edouard Traoré et Baba Hama et les ministères délégués. Le nouveau secrétaire général du gouvernement, Poussi Sawadogo est aussi de son écurie par le biais du porte-parole du gouvernement, diplomate de formation comme Poussi. Le Premier ministre n'a donc pas eu beaucoup de marges de manœuvre dans la formation de ce gouvernement. Il reste à ce que sa coordination et son contrôle ne lui échappent pas complètement durant les deux prochaines années.

Abdoulaye Ly

MUTATIONS N° 20 du 1er janvier 2013. Bimensuel burkinabé paraissant le 1er et le 15 du mois (contact :mutations.bf@gmail.com)


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