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Mali : La guerre et le déshonneur mais pas, pour autant, de solution à la crise malo-malienne.

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Voici quelques mois (cf. LDD Mali 047/Mardi 25 septembre 2012), j'avais promis aux Maliens (classe politique et putschistes confondus) que devant « choisir entre le déshonneur et la guerre » et qu'ayant choisi « le déshonneur, ils auront la guerre » (pour reprendre les mots de Winston Churchill lors de la signature des accords de Munich en septembre 1938). Nous y sommes.

Au-delà même du Mali car la guerre et le déshonneur sont, dans cette affaire, partagés par ceux qui, en Afrique, applaudissent à l'engagement militaire français sans prendre en compte la réalité du problème malien ni s'engager dans la bataille. Le premier prix du déshonneur revient au président béninois Thomas Boni Yayi qui, circonstance aggravante, préside l'Union africaine. « Je suis aux anges, a-t-il déclaré. Je voudrais absolument, au nom du continent, exprimer notre gratitude à la République française, à son président, son gouvernement, à tout le peuple français, qui ont su apprécier […] la gravité de la situation qui prévaut aujourd'hui au Mali et dans la zone ouest-africaine ».

Les Africains n'ont pas su faire la guerre mais sauront faire la fête ; les Français ne se sont pas mieux comportés entre 1940 et 1944*. Peut-on se réjouir (qui plus est «être aux anges », le docteur Boni Yayi, qui aime à exposer ses titres, devrait savoir ce que parler veut dire : le voilà en « extase ») qu'une armée étrangère vienne régler un problème qui relève de sa souveraineté, de son honneur, de sa dignité ? Peut-on se réjouir qu'une ex-puissance coloniale se sente obligée de se substituer à un Etat, une nation ? Peut-on se croire au Paradis (« aux anges ») après qu'une puissance militaire étrangère ait permis de reconquérir en quelques heures un terrain perdu quelques jours auparavant sans combat ?

L'euphorie qui s'empare des « va-t-en guerre » est indécente. Alors que les leaders africains nous bassinent à longueur de déclarations sur le respect de leur souveraineté et la prise en considération de leur position de « chefs d'Etat », les voilà qui « battent le tambour avec les tibias des morts » sans pour autant s'engager dans un combat que, pourtant, ils présentent comme vital. Boni Yayi, président de l'Union africaine, était en visite au Canada quand Paris a décidé d'entrer en guerre au Mali. Alassane D. Ouattara, président de la Cédéao, séjourne, chez lui, à Paris, avant de se rendre en début de semaine à Berlin pour des négociations financières. Il n'y a que François Hollande qui ait, pour cette occasion, bouleversé son calendrier.

Vous avez dit dignité, honneur, souveraineté** ? Cela ne serait rien s'il s'agissait seulement de bouter hors du Sud-Mali une katiba de « terroristes ». Je me permets de faire remarquer, refusant de succomber à l'enthousiasme général, que pour l'instant les troupes françaises et… maliennes n'ont reconquis qu'une bourgade du Sud-Mali abandonnée par l'armée malienne et pas encore la totalité du territoire du Nord-Mali. Je doute par ailleurs que ces « terroristes » - dont on nous dit qu'ils ne sont que quelques milliers d'hommes - aient pour ambition de mettre la main sur un territoire enclavé de plus d'1,2 million km² ; les observateurs notent d'ailleurs que l'offensive contre Kona a obligé les « terroristes »à dégarnir leurs autres positions.

S'agit-il seulement, au Mali, de combattre les « terroristes » ? A-t-on oublié que, voici un an, le 17 janvier 2012, ce sont les Touareg du MNLA qui ont déclenché une offensive contre Bamako et que le 22 mars 2012 le capitaine Sanogo, sans coup férir, à mis à terre le régime d'Amadou Toumani Touré (encensé par les « Occidentaux ») ouvrant ainsi la boîte de Pandore ?

Si les « terroristes » se sont emparés du Nord-Mali, c'est à la suite de la faillite du régime en place à Bamako. Faillite politique et sociale vis-à-vis des populations de Touareg qui, depuis la nuit des temps, réclament leur prise en compte par les autorités centrales. Faillite militaire vis-à-vis d'une « rébellion » qui résulte, d'abord, d'un refus de prise en considération de la situation des populations du Nord. C'est dire que le positionnement des « va-t-en guerre » qui, pour motiver les « Occidentaux » ont appelé« au terrorisme » comme on appelle « au loup » est un crime contre les populations maliennes, du Nord comme du Sud. Car le problème n'est pas là. Sauf que s'il ne s'agissait que d'une affaire politique intérieure malienne, l'intervention étrangère ne se serait pas trouvée justifiée.

François Hollande, à l'instar de Nicolas Sarkozy avec l'affaire libyenne, confond le tout et la partie et se refuse à prendre en compte la réalité politique et sociale du Mali. Dominique de Villepin le dit clairement, ce matin, dans Le Journal du Dimanche (Dimanche 13 janvier 2013) : « Ne cédons pas au réflexe de la guerre pour la guerre. L'unanimisme des va-t-en guerre, la précipitation apparente, le déjà-vu des arguments de la « guerre contre le terrorisme » m'inquiètent […] Tirons les leçons des guerres perdues, en Afghanistan, en Irak, en Libye. Jamais ces guerres n'ont bâti un Etat solide et démocratique. Au contraire, elles favorisent les séparatismes, les Etats faillis, la loi d'airain des milices armées. Jamais ces guerres n'ont permis de venir à bout de terroristes essaimant dans la région. Au contraire, elle légitiment les plus radicaux ». Villepin dit que « nous nous battrons seuls, faute de partenaire malien solide ». Il dit aussi que « nous nous battrons dans le vide, faute d'un appui régional solide », la Cédéao « reste en arrière de la main et l'Algérie a marqué ses réticences ». Il ajoute : « Un processus politique est seul capable d'amener la paix au Mali ». Dommage que ce point de vue soit celui d'un homme de droite qui n'est plus au pouvoir tandis que l'homme de gauche qui le détient s'empresse de jouer « aux petits soldats » (et il en a déjà perdu un dans la bataille).

La guerre ne résoudra pas les problèmes politiques et sociaux du Mali. Or, ce sont ces problèmes qui ont provoqué les événements du 17 janvier 2012 puis du 22 mars 2012. C'est dire que la médiation entamée à Ouagadougou doit se poursuivre. Ceux qui voulaient la guerre l'ont. On verra comment ils vont la gérer. Je note que, jusqu'à présent, le premier pays de la région a s'être engagéà fournir un contingent de 500 hommes pour soutenir la MISMA est le Burkina Faso, le pays qui s'est, par ailleurs, impliqué dans la recherche d'une solution négociée. Ouaga, dans le même temps, appelle à« arrêter les exactions et [à] n'entraver en rien le déploiement des forces internationales ». Combien de militaires béninois va envoyer Boni Yayi ? Combien de militaires guinéens va envoyer Alpha Condé ? Combien de militaires ivoiriens va envoyer Ouattara ?... Il est vrai que ces chefs d'Etat sont loin d'être consensuels chez eux et sont confrontés à d'immenses difficultés. Ce qui devrait les amener à plus d'humilité.

La guerre est engagée. Il faut la gagner. Mais dans le même temps, il faut bâtir la paix. Hollande, « l'homme du consensus mou », vient, en prenant la mauvaise décision, de s'affirmer comme celui du « consensus viril » (il a le soutien de l'opposition du centre droit à l'extrême-droite). Cela ne prouve pas qu'il a raison (la gauche a fait la même erreur en Algérie dans les années 1950-1960). Mais cela le met en position de force pour proposer autre chose. « Aujourd'hui, notre pays peut ouvrir la voie pour sortir de l'impasse guerrière, s'il invente un nouveau modèle d'engagement, fondé sur les réalités de l'Histoire, sur les aspirations des peuples et le respect des identités. Telle est la responsabilité de la France devant l'Histoire ». Villepin (cf. supra) l'affirme ce matin. Il a raison.

* Il y a dans tous les peuples des « compagnons de la Libération » (1.038 en France) et des « résistants ». Mais ce ne sont jamais que des minorités. La tendance générale, face à l'oppression, est quand même la soumission.

** L'ambassadrice US aux Nations unies, Susan Rice, a parfaitement résumé la lettre adressée par Dioncounda Traoréà Hollande : « Elle dit : Au secours la France ! ». Pas folichon.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique


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