Le calendrier politique au Burkina Faso est devenu très serré pour les différents acteurs politiques. L'échéance de 2015 approche à grands pas, ne laissant plus de choix aux indécis que de se décider ou de disparaitre. C'est dans ce sens qu'il faut inscrire les différentes « littératures des déchus du CDP » ces dernières semaines. Ils appellent à la tenue d'un congrès extraordinaire « pour recadrer et conforter le parti ». Ils se font encore des illusions sur leurs capacités à reprendre en main le CDP qu'ils ont perdu il y a plus d'un an sans grande résistance.
Ils font de la littérature pour demander la convocation d'un congrès extraordinaire. C'est la curieuse méthode choisie par des membres du bureau politique national (BPN) du parti au pouvoir pour convaincre ou contraindre « le clan » d'en face, celui qui est à la tête du CDP depuis le Vè congrès ordinaire de mars 2012. Depuis quelques mois, ils multiplient des pamphlets, parfois des tracts contre la nouvelle direction de leur parti. C'était d'abord cet écrit des « militants mécontents du Kadiogo » qui s'insurgeaient contre le renouvellement de leur structure de base. Ensuite, c'est un document dénommé« Propositions de sortie de crise » datant de septembre dernier et portant la griffe d'une certaine « Alliance, perspective et alternance nouvelle ».
Et en fin novembre, la fronde prend une autre tournure avec la publication d'une « Déclaration d'un groupe de membres du bureau politique national du CDP ». Cette déclaration énumère de nombreux griefs contre le secrétariat exécutif national (SEN) piloté par Assimi Kouanda et François Compaoré. Ces derniers sont accusés d'avoir frauduleusement ajouté 200 membres dans la composition du BPN qui n'en comptait que 450 au sortir du dernier congrès. Non content de cet « ajout frauduleux », le clan de François et de Assimi s'évertuerait à« confisquer l'autorité» du BPN dont sont issus les frondeurs. Ils citent des cas où le BPN aurait été royalement mis à l'écart alors que les textes du parti lui en donnent les prorogatives pour statuer. C'est entre autres la désignation des candidats du parti lors des élections couplées de décembre 2012, la mise en place du sénat et le renouvellement des structures et organes du parti. Tout serait contrôlé par le SEN sans « le moindre salamalec » du BPN. C'est «à prendre ou à laisser ! » Quel dilemme !
La reconnaissance de l'existence de clans
La déclaration des membres du BPN éclaire sur les différentes forces en conflit au sein du CDP. Il y a bien sûr le « clan » de ceux qui dirigent aujourd'hui le parti. On peut le résumer aux gens de la FEDAP/BC pilotée par François Compaoré. Le deuxième clan est celui des « frustrés actifs » qui manœuvrent pour la tenue d'un congrès extraordinaire pour « recadrer et conforter le parti ».
On les soupçonne de rouler pour Roch Marc Christian Kaboré dont ils aimeraient propulser comme candidat à la prochaine présidentielle, en misant sur le renoncement de Blaise Compaoréà modifier l'article 37 de la constitution. Enfin, on a les « indécis », ceux qui ne s'affichent pas ou ne s'alignent pas pour le moment derrière un clan donné. Ce sont pour la plupart des « situationnistes », prêts à rejoindre le « clan » du vainqueur. Mais en attendant, ils observent et placent leurs pions des deux côtés comme à la période critique du CNR (fin 1987) où certains faisaient le tango entre Sankara et Blaise. Quel sera leur poids dans ce combat entre les deux clans protagonistes ? Très léger, serait-on tenté de dire car, tant que Blaise Compaoré restera silencieux, personne n'osera lever le petit doigt pour se positionner. C'est d'ailleurs cette même crainte qui explique les contradictions actuelles des frondeurs qui, tout en reconnaissant que le clan d'en face « ne recule, ne reculera devant rien », demande la convocation d'un congrès extraordinaire du parti par les mêmes personnes qu'ils vilipendent. L'attitude la plus logique, la plus raisonnable serait qu'ils claquent la porte du parti et créent le leur pour mener la bataille de la présidentielle qui semble les diviser. Mais ils ont peur de franchir le pas et « mendient »à la limite la convocation d'un congrès pour se remettre en selle. Ils clament que « l'heure de la vérité a sonné», mais refusent eux-mêmes de se décider.
Voilà les limites des « déchus du système ». Ils appellent tous à la rescousse leur « patron », leur « dieu Blaise Compaoré». On voit bien qu'ils se font encore des illusions sur la grande « condescendance » de ce dernier. Or, il est évident que Blaise Compaoré a choisi, pour le moment, le statu quo, c'est-à-dire le clan de son frère François. Il faudrait qu'ils se convainquent d'une chose : quel que soit le scénario (modification ou non de l'article 37), le groupe « qui agite la FEDAP/BC, qui l'organise et la redéploye à chaque fois que de besoin, et cela en dépit de la promesse de l'abandonner faite au moment du congrès, en raison des menaces évidentes qu'elle a toujours fait peser sur la cohésion au sein du parti » ne se démettra pas un an à peine après avoir conquis la direction du parti.
Ce serait un suicide politique. Ils ne vont pas l'accepter et c'est normal. En attendant alors l'hypothétique congrès extraordinaire, les rangs des frondeurs risquent de se clairsemer. Les uns vont rejoindre les ex-camarades à l'UPC et d'autres vont se résigner au sein du CDP. A moins qu'en début 2014, certains irréductibles ne prennent enfin leur courage à deux mains et créer leur parti pour se frotter à la réalité du terrain politique. Ils auront le temps de se refaire une certaine virginité politique avant la présidentielle. Et là, tout est possible. Des exemples ne manquent pas. A l'étranger comme au Burkina Faso. Macky Sall au Sénégal et Zéphirin Diabré au Faso avec son UPC qui cristallise aujourd'hui l'espoir d'une alternance démocratique. Pour faire comme eux, il faut du « courage politique ». Mais il faut reconnaitre que c'est un ingrédient très rare sous nos tropiques.
Abdoulaye Ly
MUTATIONS N° 42 du 1er décembre 2013. Bimensuel burkinabé paraissant le 1er et le 15 du mois (contact :mutations.bf@gmail.com . site web : www.mutationsbf.net)