Le Président Mandela s'en est allé. Son départ coïncide avec, fait singulier, la présidence à lui confiée symboliquement par le Président François Hollande du Sommet de l'Elysée sur la Paix et la Sécurité en Afrique. Nous n'y voyons pas de récupération. Pourquoi ce légitime hommage du leadership français et au-delà, mondial à l'endroit de ce fils du continent dont l'héritage est en soi un défi ? L'hommage rendu à Mandela est chevillé au leadership moral et politique qu'il exerça. En quoi a-t-il consisté en ces temps de désespoir, de ruptures et de fatalité ?
Son leadership est incommensurable certes, mais il est possible d'autres trajectoires de grand leadership. Rappelons-nous qu'après les dix années de la Révolution culturelle, le strict modèle communiste essouffla définitivement l'économie chinoise alors que dans le même temps, dans la dynamique du Japon, les quatre « dragons » (Taïwan, Hongkong, Singapour et Corée du Sud) enregistraient un essor économique sans précédent. Deng Xiaoping, constatant cette embellie de ces entités que les Chinois ont toujours considérées comme des « marges de l'empire » se mit à considérer le cas de Singapour à partir de 1992. S'y inspirant, il lança l' «économie socialiste de marché». On peut dire que c'est sous son leadership visionnaire fondé sur les valeurs confucéennes redevenues valeurs pérennes que la Chine enclencha sa modernisation avec les résultats que l'on sait. Ce leadership de Deng Xiaoping fit une sacrée différence. A la question, pour paraphraser Alain Badiou, de savoir de quoi Mandela est-il le nom, j'écris dignité humaine. A Deng Xiaoping revient le mérite du déverrouillage de la société chinoise au moyen du concept de l' «économie socialiste de marché» et à Mandela le déverrouillage de la société sud-africaine au nom de l'imprenable dignité humaine. Seul ce leadership visionnaire et de courage qu'il n'énonça pas pour les autres mais qu'il vécut pour aujourd'hui, qu'il n'est plus, mieux l'incarner. La preuve est donc faite que la dignité humaine, prérogative fondatrice de l'être parce que tout simplement humain, se restaure aussi par le leadership moral et politique au service des peuples. En quoi a-t-il consisté comme convictions profondes chez Mandela après le renoncement à la lutte armée ? D'abord à enseigner que la volonté de négocier, loin d'être synonyme de démarche capitulatoire, reste le cœur probant de la compréhension des opinions adverses, de l'aide à apporter à ses contradicteurs pour mieux épeler leurs préoccupations et ce dans un cadre uni.
Sans revanche, ni triomphalisme
Seules des entités unies que représentent des gens respectables peuvent négocier, s'accorder et conclure un pacte. Ce faisant, sans revanche ni triomphalisme, ces leaders - là obtiennent adhésion et respect de leur signature. Il s'ensuit que diviser ses adversaires est une tactique contreproductive. N'est-ce pas une mesquinerie de trop ? Après ce premier principe, vient ensuite la modalité opératoire comme suit : si l'argumentation à laquelle vous avez fait front, marche, alors avec humilité, il faut l'admettre. Mieux, noblesse d'âme oblige, il faut la soutenir et la propager au nom de l'honnêteté intellectuelle. En troisième moment, surgit la nécessité, une fois le conflit circonscrit conceptuellement et potentiellement dans la praxis sociale, de rechercher les chemins de la franche collaboration avec l'ennemi mortel d'hier, perçu désormais comme un allié objectif pour le telos (finalité) entrevu.
Mandela-de klerk ; Rabin-Arafat
Pensons aux duos Mandela-de klerk ; Rabin-Arafat ; Gerry Adams – Ian Paisley. Il reste à espérer un duo de paix et de réconciliation entre Coréens du Nord et leurs frères du Sud.
Enfin, comme on le voit, ces duos se forment au moyen de la détermination de personnalités charismatiques qui se sont hissées, le moment venu, avec humilité au niveau des suprêmes enjeux de paix, de réconciliation et de convivialité. Charismatiques, ces leaders ont formé contre vents et marées de solides coalitions bien au-delà de leur base ethnico-politique. D'un leadership de prépondérance, les épreuves les ont transformés en leaders de coalition avec une force interlocutoire percutante. Ils se sont transcendés pour ainsi dire entraîner leurs concitoyens au profit de causes jugées comme Madiba lui-même aimait à dire inaccessibles : les choses sont impossibles jusqu'au moment où on les réalise. Tout se passe alors comme si des ouvriers que le pusillanime considère comme visités par Sisyphe, au lieu d'abandonner, étaient ragaillardis par chaque coup de pioche surhumain donné alors que dégouline la sueur, coulent les larmes et suinte le sang comme Churchill l'imaginait en d'autres circonstances exceptionnelles, arrivaient effectivement à bâtir des ponts vers l'infini. L'inimaginable est la porte d'à côté pour les âmes déterminées. Voilà la désillusion à laquelle Mandela nous a conduits.
Dire, c'est faire
Seul le renoncement est capitulatoire. Contre Dante pour qui l'espoir est vain, les ouvriers de la paix et de la démocratie i.e. de la dignité humaine obtiennent toujours des résultats grandioses. Mandela est le nom de cette réhabilitation perpétuelle, de cette foi ardente, de cette intégrité et de cette candeur dites dignité humaine tandis que Deng Xiaoping est le nom du renouveau de l'économie chinoise. Nos chefs doivent savoir que Dire, c'est Faire. Dire l'émergence africaine, c'est la faire avec des contenus culturels africains. C'est possible en s'inspirant de la vie de Mandela, notre chef qui ne s'est jamais renié. G. Balandier prévient qu'on ne paie pas le progrès par la démission culturelle. Le recours aux valeurs confucéennes par Deng Xiaoping le prouve à l'envie. Voici l'héritage-défi de Mandela. Oser se réclamer de lui, c'est se condamner à agir.
Mamadou Djibo, Ph.D.
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