En collaboration avec l'Union internationale contre la tuberculose et les maladies respiratoires, le ministère de la Santé a animé un atelier le 03 septembre 2013 à Ouagadougou, à l'attention des journalistes. L'objectif majeur de cet atelier dont la cérémonie d'ouverture a été présidée par Dr Narcisse Naré, point focal de la lutte antitabac et représentant à l'occasion le Secrétaire général du ministère, est de renforcer les connaissances des hommes de média en leur expliquant le contenu de l'article 5.3 de la Convention cadre de l'OMS (Organisation mondiale de la santé) pour la lutte antitabac.
En rappel, notre pays a ratifié en juillet 2006, la Convention cadre pour la lutte antitabac (CCLAT). Dans cette convention, il y a une disposition clef, en l'occurrence l'article 5.3, qui vise à protéger les politiques et programmes de santé des Etats contre l'ingérence de l'industrie du tabac qui passe surtout par la presse pour contrecarrer les initiatives antitabac.
Or, précise Dr Souleymane Ly, président de l'ONG ACONTA (Afrique contre le tabac), «selon l'article 5.3 de la Convention cadre de lutte antitabac, les médias ne devraient pas accepter les dons et toute autre forme d'assistance venant de l'industrie du tabac ». D'où un tel atelier pour renforcer les connaissances des journalistes en matière non seulement d'ingérence de l'industrie du tabac dans les politiques de santé publique, mais aussi d'obligations qui pèsent sur eux dans la lutte antitabac.
En clair, il s'est agi au cours de cet atelier de :
renforcer les connaissances des journalistes sur les stratégies d'attaque de l'industrie du tabac pour saper les efforts de la mise en œuvre de la CCLAT ;
renforcer leur compréhension des éléments clefs dans l'application de l'article 5.3 de la Convention ;
renforcer leur connaissance quant à l'obligation du gouvernement à appliquer cet article 5.3 de la Convention ;
de partager les expériences sur son application dans d'autres pays francophones ;
de les sensibiliser sur les bonnes pratiques en matière de mise en œuvre de cette disposition ;
renforcer le partenariat entre les acteurs institutionnels de la lutte antitabac, la société civile et les médias au Burkina Faso.
A travers les participants à cet atelier, il est surtout attendu que l'ensemble des hommes de médias du Burkina fassent preuve d'activisme franc et intransigeant dans la sensibilisation du public sur les conséquences dévastatrices de la consommation du tabac, sur l'exposition à la fumée du tabac, sur les différentes stratégies de l'industrie du tabac.
A la suite de cet atelier, interviendront l'élaboration et la mise en œuvre dans le cadre de campagnes de sensibilisation, d'un plan de communication multimédia, a annoncé Dr Naré. Et de croire qu'avec ces campagnes, « les hommes de média seront les acteurs clés pour que la population entière connaisse les méfaits du tabac dans notre pays». D'ores et déjà, Dr Naré a émis le souhait « que les médias puissent avoir plus de forces pour résister à l'influence de l'industrie du tabac».
Face à l'industrie du tabac, la lutte antitabac s'annonce rude
La lutte contre le tabac et le tabagisme, c'est aussi la lutte contre l'industrie du tabac, ou exactement, l'attaque contre les intérêts de cette industrie dont l'indéniable puissance multidimensionnelle semble être bien appréhendée par les activistes antitabac. Bien organisée à l'échelle mondiale avec la collaboration d'hommes non moins éminents de science, de droit notamment, l'industrie du tabac dispose d'une puissance financière assez importante. A en croire Sylviane Ratte, Conseillère technique en contrôle du tabac au sein de l'Union internationale contre la tuberculose et les maladies respiratoires, «le chiffre d'affaire de Philip Morris (Ndlr industrie du tabac) par exemple, c'est l'équivalent du PIB (Ndlr Produit intérieur brut) de 27 pays à revenu faible». Au Burkina Faso par exemple, l'industrie du tabac réalise annuellement, précise Dr Laurent Somé, un bénéfice de l'ordre de 30 à 35 milliards FCFA et les recettes fiscales qui en découlent pour l'Etat se chiffrent entre 5 et 7 milliards FCFA.
Prenant appui sur cette puissance multidimensionnelle, l'industrie du tabac intimide et traque devant les juridictions internationales, les Etats, même ceux développés. L'Australie essaye depuis un certain temps de se défendre contre Philip Morris pour les paquets neutres qu'elle exige.
Malheureusement, les Etats ne sont pas suffisamment protégés par la Convention cadre de lutte antitabac. Néanmoins, elle prévoit en son article 19, l'assistance juridique mutuelle entre Etats membres qui sont à ce jour, au nombre de 177.
Un bâton de cigarette réduit l'espérance de vie de 21 mn
Sur la base d'études scientifiques, à en croire Dr Somé, l'on est arrivé au constat qu'un bâton de cigarette réduit l'espérance de vie de 11 minutes en Amérique, et de 21 minutes en Afrique. Toute chose qui a incité la directrice générale de l'OMS à appeler les Etats «à se dresser contre l'industrie du tabac qui tue, qui rend des gens malades partout pour rien », a confié Sylviane Ratte. « Il faut que les Etats se mobilisent à faire payer l'industrie du tabac pour les dégâts qu'elle cause », a martelé Mme Ratte.
Et au Burkina Faso, depuis 2006 où le pays a ratifié la Convention cadre de l'OMS pour la lutte antitabac, on a sent, selon Dr Ly, «une volonté politique de plus en plus affichée». En effet, une loi antitabac a été votée en 2010. Et en 2011, le gouvernement a pris trois décrets d'application de cette loi antitabac.
C'est vrai, confie Dr Ly, «nous ne sommes pas encore totalement satisfaits des résultats obtenus ». Et d'ajouter, «on sent quand même qu'il y a des progrès dans la lutte antitabac ».
Le cap doit être maintenu, mieux, amélioré, car « il y a un conflit fondamental, irréconciliable entre la santé publique et les industries du tabac», foi de Dr Ly. Quel que soit ce que l'industrie du tabac va faire comme œuvre à caractère social, c'est juste pour pouvoir promouvoir ses produits. Et la conviction de Dr Ly, c'est que « l'industrie du tabac est loin d'être une entreprise philanthrope comme les gens le pensent malheureusement».
Fulbert Paré
Quelques participants à l'atelier apprécient
Sylvestre Ilboudo de la radio Fémina FM :
Pour moi, cet atelier vient éclairer une fois de plus, la lanterne du journaliste que je suis par rapport à la dangerosité du tabac.
Aujourd'hui, il faut se dire que nous journalistes, nous sommes considérés comme des modèles dans la société. Et nous sommes également sensés apporter l'information, la bonne, à la population.
Il se trouve que parfois on est confrontéà des difficultés d'ordre économique au sein de nos médias ; ce qui nous contraint à désinformer
Les industries du tabac aujourd'hui comme cela a été dit, présentent une menace sérieuse pour la santé de la population.
Je ne fume pas, je n'encouragerai pas quelqu'un à fumer. Le message est clair à partir d'aujourd'hui : journaliste que je suis, je dirai aux gens, ne fumez pas, le tabac est très dangereux pour la santé, ça tue à petit feu
Djélika Drabo, des Editions Sidwaya :
J'étais nouvelle par rapport à certaines pratiques. J'ai beaucoup appris au cours de cet atelier. Ce que j'ai retenu, c'est qu'il y a des textes de lois et autres mesures qui sont pris pour amener notre gouvernement à agir contre le tabac et l'industrie du tabac.
L'article 5 de la CCLAT dont j'ai eu connaissance aujourd'hui, m'a permis de savoir que beaucoup d'efforts sont faits dans la lutte contre le tabagisme. C'est une initiative à saluer. C'est à nous journalistes de faire le reste, c'est-à-dire de faire de telle sorte que la population soit suffisamment sensibilisée par rapport au tabagisme.
Hamidou Traoré, du journal L'Evénement :
Ce que je retiens de l'atelier de ce matin, c'est que nous sommes face à deux tendances, à savoir que d'un côté il y a les intérêts financiers que les industries du tabac et aussi les Etats cherchent à protéger ; de l'autre côté, il y a les intérêts de santé publique à préserver. Là, on a la société civile, le réseau des journalistes antitabac qui milite dans le sens de l'éradication du tabagisme et qu'il faut saluer. Il y a aussi le ministère de la santé qui s'active.
J'ai entendu au cours de l'atelier que la situation est celle du combat de David contre Goliath, au regard de la puissance financière des industries du tabac. Et il y en a déjà qui donnent l'impression d'un certain pessimisme, mais je pense qu'il n'y a pas lieu d'être pessimisme.
L'atelier a été celui des journalistes. Et on sait que toutes les entreprises qui se respectent sont très sensibles à l'information. Donc, si les journalistes relayent les informations qui n'arrangent pas les industries du tabac, naturellement, elles seront très inquiètes.
Abdoul Wahab Nombré, de la RMO, et Secrétaire exécutif du REJAT-BF :
L'idée fondamentale qui a sous-tendu la tenue de cet atelier, c'était de faire en sorte qu'on renforce davantage le partenariat entre les acteurs de la lutte antitabac. J'y vois une très belle initiative. Pour pouvoir lutter efficacement contre l'industrie du tabac, il faut parler d'une même, il faut être au même niveau d'information.
Concernant le point qui a été développé aujourd'hui, celui ayant trait à l'article 5.3 de la Convention de l'OMS pour la lutte antitabac qui revient longuement sur la question de l'ingérence et de l'interférence de l'industrie du tabac, pour moi, il était fondamental d'en parler aux journalistes, parce que les hommes de médias sont des acteurs incontournables dans la lutte contre le tabac.
Mais, de plus en plus ces dernières années, on a remarqué que l'industrie du tabac a cette stratégie qui consiste à passer par des médias pour pouvoir diffuser ses informations mensongères. Il y a des illustrations assez nombreuses sur la place. Cela est dû au fait que peut-être que les journalistes n'ont pas connaissance de la législation qui leur fait obligation de ne pas faire passer ces genres d'informations dans leurs colonnes.
C'est vrai, il y a de gros sous derrière la collaboration avec l'industrie du tabac, mais lorsqu'on se rend compte des désastres induits par la promotion du tabac, je pense qu'on devrait être plus réservéà l'offre de cette industrie.
Il était important à mon avis, d'échanger avec les journalistes pour qu'ils comprennent l'enjeu à se détourner définitivement de l'industrie du tabac qui n'est pas philanthrope, mais au contraire se fait de gros sous.
Au sortir de cet atelier, je pense que la trentaine de journalistes qui y a pris part, même si tous ne maîtrisent pas encore, ils savent désormais éviter les reportages pièges organisés par l'industrie du tabac.
Pour pouvoir devancer l'industrie du tabac, je pense qu'il faut accentuer la sensibilisation. L'analphabétisme, l'ignorance, la pauvreté, font que le tabagisme gagne du terrain dans nos pays ; car beaucoup de gens ne savent pas les dangers qu'il y a autour de la consommation du tabac. A mon avis, il faut sortir des cadres feutrés pour apporter aux populations à la base l'information vraie. Si ce travail de sensibilisation à la base est fait, on pourra faire des populations elles-mêmes, des armes redoutables pour contrer l'industrie du tabac. Il faut, contre le marketing agressif de l'industrie du tabac, une population qui puisse donner la réplique appropriée.
Après les journalistes, il est à mon avis important que les patrons de presse soient sensibilisés afin qu'ils n'ouvrent plus leurs colonnes à l'industrie du tabac, et qu'ils lui donnent définitivement dos.
Fulbert Paré
Lefaso.net