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Le Burkina Faso se mobilise à la recherche de la sérénité perdue.

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Peut-on considérer que c'est « un mal pour un bien » ? Et que les mobilisations, parfois violentes, contre le sénat, l'article 37, la vie chère, les conditions de vie des étudiants…ont permis une prise de conscience par la classe dirigeante du « mal-être » d'une partie de la population urbaine burkinabè confrontée aux bouleversements de l'évolution du « pays des hommes intègres ».

Alors qu'une des réformes politiques majeures – l'instauration d'un sénat –se met en place (les 39 sénateurs régionaux ont étéélus le 28 juillet 2013), sa remise en question par le président du Faso semble soulager tout le monde, au sein du pouvoir comme de l'opposition mais aussi de la population. Assimi Kouanda, ministre d'Etat, directeur de cabinet de Blaise Compaoré, secrétaire exécutif national du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), président de son BPN, vient de saluer une décision qui fait « prévaloir le dialogue et la concertation face aux contradictions suscitées par la mise en place du Sénat ». Dans la foulée, il « recommande au gouvernement de poursuivre ses efforts dans le sens de trouver des solutions idoines aux préoccupations sociales et académiques pressantes des universités du Burkina Faso ».

Rappelons que le 6 juillet 2013, Kouanda était en tête d'une « marche-meeting » ; c'était la réplique à celle organisée contre le sénat par l'opposition une semaine auparavant et dont le succès populaire avait été probant. L'Alliance pour la démocratie et la fédération (ADF-RDA), un des plus vieux partis politiques burkinabè, qui a pris ses distances ces derniers mois avec le pouvoir après un long compagnonnage, salue de son côté une décision qui permettra « de raffermir [la] démocratie par le dialogue, l'écoute et la tolérance ».

Zéphirin Diabré, chef de file de l'opposition, qui rappelle son refus de voir mettre en place ce sénat, évite de jeter de l'huile sur le feu. Certes, dans son communiqué publié ce mercredi, il rappelle les mots récents du chef de l'Etat qui vont rester dans l'Histoire du pays (« Nulle part dans le monde, on n'a vu une marche changer une loi ») mais ne fait pas de surenchère. Il recommande seulement aux opposants au sénat de « demeurer vigilants, mobilisés ».

Dans cette affaire, un homme se trouve sur le devant de la scène : le docteur Bongnessan Arsène Yé. Il est ministre d'Etat, ministre chargé des relations avec les Institutions et des Réformes politiques. Etonnamment, on l'avait perdu de vue tout au long des mois passés. Il est pourtant l'homme qui, à travers le Conseil consultatif sur les réformes politiques (CCRP) et les « Assises nationales » a initié le projet de sénat (cf. LDD Spécial Week-End 0562/Samedi 8-dimanche 9 décembre 2012). Alors que le CDP « marchait » le 6 juillet 2013 dans la capitale il était au Canada. Et c'est Mamoudou Barry, secrétaire général du ministère des Relations avec les Institutions et des Réformes politiques, qui, les 1er et 2 août 2013, a tenu, à Koudougou, le premier CASEM** de l'année 2013 sur le thème, oh combien d'actualité, de « Quelles stratégies pour atteindre des résultats efficients ? ».

« L'efficience » de ce département ministériel est effectivement une nécessité : à en croire le CASEM le coût de son programme d'activité 2013 s'élèverait à plus de… 5,4 milliards de francs CFA (Sidwaya du mardi 13 août 2013) ! La dernière fois où l'on a entendu parler de Yé c'était le vendredi 31 mai 2013 alors que, dans la salle des fêtes de Ouaga 2000, il avait présidé la cinquième session du comité de suivi et d'évaluation de la mise en œuvre des réformes politiques consensuelles.

Dix jours auparavant, le 21 mai 2013, Yé avait défendu la loi portant création du sénat. Adoptée par 81 voix (les députés du CDP, de l'UNDD et du groupe CFR) ; l'ADF-RDA ayant voté aux côtés de l'opposition ce sont 46 voix qui se sont prononcées contre le projet de loi.

Voilà donc que Yé est de retour alors que le sénat divise la classe politique et mobilise la population (difficile de trouver un Burkinabè qui soit « pour » en dehors de « la clientèle » du CDP). Adama Coulibaly, secrétaire permanent des réformes politiques a convoqué les membres du comité de suivi et d'évaluation de la mise en œuvre des réformes politiques** «à une importante rencontre » qui aura lieu à Ouaga 2000 le vendredi 16 août 2013 (le 15 août, jour de l'Assomption, est férié au Burkina Faso).

Le communiqué du 12 août 2013 de la présidence du Faso a fixé au 31 août la date limite (« au plus tard ») afin de remettre un « rapport d'étape circonstancié sur le processus d'opérationnalisation du Sénat*** avec des recommandations et propositions appropriées ». Le comité de suivi aura donc moins de quinze jours pour accomplir sa tâche. Pas facile. D'autant qu'il s'agit de plancher, selon le communiqué présidentiel, sur « le processus d'opérationnalisation », autrement dit de « préparer un travail productif ».

Est-ce à dire que le comité de suivi et d'évaluation n'a pas fait son boulot ? Et que tout le monde a voulu aller trop vite, trop loin ? Dans son livre « L'Ancien régime et la Révolution », Alexis de Tocqueville a écrit que « l'expérience apprend que le moment le plus dangereux pour un mauvais gouvernement est d'ordinaire celui où il commence à se réformer ».

C'est à l'occasion du remaniement ministériel de janvier 2011 que Yé est revenu sur le devant de la scène politique burkinabè. Il est alors nommé ministre d'Etat, ministre auprès de la présidence chargé des Réformes politiques. Il a 53 ans et un parcours politique exceptionnel pour un médecin militaire. Avec son look de barbudos, le capitaine Yé (aujourd'hui colonel) s'est s'affirmé comme le spécialiste des meetings et des grandes manifestations de la « Révolution » puis de la « Rectification ». Le Camarade-Président Thomas Sankara a préfacé son premier livre : « Profil politique de la Haute-Volta coloniale et néo-coloniale ou les origines du Burkina Faso révolutionnaire ». Coordinateur national des structures populaires, secrétaire à l'organisation du Front populaire et à son comité exécutif, chargé de suivre le fonctionnement de toutes les structures du Front c'était le « Monsieur Politique et Organisation » du Burkina Faso (cf. LDD Burkina Faso 0241/Lundi 17 janvier 2011 pour le parcours complet de Yé).

En juin 1992, il préside l'Assemblée des députés du peuple. Pour cinq ans. En 1997, il entre au gouvernement. Il a présidé l'ODP/MT de 1993 à 1996 puis le CDP jusqu'en 1999. Le changement de siècle appelle le changement d'hommes. Il ne réapparait qu'en janvier 2011 dans le dernier gouvernement de Tertius Zongo. Quelques semaines à peine avant les mutineries du printemps 2011 qui vont rudement secouer le Burkina Faso et traumatiser, à juste titre, les Burkinabè.

Zongo qui, malgré ses immenses qualités humaines et professionnelles n'avait pas compris qu'en politique il faut éviter d'aller trop vite quand on veut aller très loin, devra céder la place à Luc Adolphe Tiao. Yé va mettre en place, alors, avec le CCRP et les « Assises nationales », les réformes qu'il envisageait sous Zongo. Ce n'était pas, manifestement, la réponse aux préoccupations des populations. Blaise lui demande de revoir sa copie. Les révolutions, souvent, dévorent les révolutionnaires. Yé est particulièrement bien placé pour le savoir… !

* Le CASEM est le Conseil d'administration du secteur ministériel, une structure de fonctionnement de l'administration ministérielle burkinabè. En l'absence de Bongnessan Arsène Yé, c'est le gouverneur de la région du Centre-Ouest, le colonel-major Komyaba Pascal Sawadogo, qui, au nom du ministre, a ouvert le CASEM 2013.

** Ce comité, qui fonctionne sous la supervision du ministre en charge des Réformes politiques, comprend 30 membres. Il est dirigé par un bureau de 7 membres qui se réunit au moins une fois par mois. Le comité a été créé le 25 janvier 2012 en conseil des ministres. La première session du comité s'est tenue du 15 au 22 juin 2012 ; il est prévu 4 sessions ordinaires par an, soit une par trimestre.

*** Il convient de rappeler que lors des travaux du Conseil consultatif sur les réformes politiques (CCRP) c'est Seydou Coulibaly, juriste expert sur les questions parlementaires, qui a animé le débat sur « le rôle et la place du Sénat dans l'équilibre des pouvoirs ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique


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