« Le ministre de l'Administration territoriale et de la sécurité a fait au Conseil une communication relative aux résultats du dépouillement des dossiers de soumission des compagnies de transport aérien pour le Hadj 2013. A l'issue de ces travaux, le Comité de suivi de l'organisation du pèlerinage à la Mecque a retenu les compagnies de transport aérien Ethiopian Airlines et Colombe Airlines. Le coût global du Hadj 2013 s'élève par pèlerin à la somme de : un million neuf cent dix sept mille (1 917 000) FCFA. Dans un élan de solidarité, le Conseil a marqué son accord pour que le gouvernement supporte le surcoût, afin de permettre aux fidèles musulmans d'effectuer le Hadj 2013 aux mêmes coûts que l'année 2012 ». Cet extrait du compte rendu de l'hebdomadaire Conseil des ministres du 25 juillet suscite des inquiétudes chez tout républicain et appelle quelques observations.
Que, face à la pagaille récurrente constatée ces dernières années due à l'amateurisme des agences de voyage organisatrices du pèlerinage des msulmans, l'Etat décide d'intervenir pour y mettre de l'ordre, soit. Que le ministre de l'Administration territoriale et de la sécurité, également en charge des questions cultuelles, s'implique dans le choix des compagnies chargées de transporter les musulmans candidats au pèlerinage à la Mecque, et veille à ce que personne ne soit arnaqué, cela entre dans ses prérogatives.
En revanche, la décision prise par le gouvernement de « supporter le surcoût afin de permettre aux fidèles musulmans d'effectuer le Hadj 2013 aux mêmes coûts que l'année 2012 » est pour le moins troublante.
D'abord, elle est une violation de l'article 31 de la constitution, lequel, faut-il le rappeler, stipule que « le Burkina Faso est un Etat démocratique, unitaire et laïc ». Faire payer, aux frais du contribuable, une activité qui relève de la sphère strictement privée, c'est remettre en cause le caractère laïc de l'Etat burkinabè.
Ensuite, sauf à manifester le même «élan de solidarité»à l'endroit des autres fidèles religieux, l'Etat serait pris en flagrant délit de comportement discriminatoire au profit d'une religion, ce qui est contraire à l'alinéa de l'article 1er de notre constitution. N'ayons pas peur des mots, cette décision du gouvernement porte en elle, les germes de la division, crée un précédent fâcheux et risque de miner la coexistence religieuse pacifique dans notre pays.
Si les musulmans qui, à ce qu'on sache, n'ont rien demandé, bénéficient aujourd'hui d'un «élan de solidarité», demain, il faudrait bien manifester le même «élan de solidarité» pour les fidèles chrétiens qui suivent les traces de Jésus depuis Tougan jusqu'à Nazareth, Rome, Yagma, ou ceux qui vont chercher la protection de sa mère à Lourdes !
Quid de ceux qui pratiquent les religions dites traditionnelles ? Va-t-on subventionner l'achat des coqs à couleur unique, ou du bouc à rayures blanches destinés aux sacrifices lors des fêtes dans les villages, histoire de solliciter la protection des ancêtres ? Au nom du principe d'égalité, que fait-on pour les athées et les agnostiques ? « L'élan de solidarité» invoqué par le gouvernement pour s'immiscer dans l'organisation et le fonctionnement de la religion musulmane n'est pas recevable.
En 2012, environ 4470 musulmans ont déboursé exactement 1,810 000 million de F CFA chacun pour accomplir un des cinq piliers de l'islam. Le coup de pouce gouvernemental va sans doute avoir un effet sur le nombre de candidats au pèlerinage cette année. A supposer qu'ils ne soient pas plus nombreux que l'année dernière, l'Etat devra néanmoins leur signer un chèque d'au moins 470 millions de F CFA !
Par ailleurs, vu l'organisation horizontale de la communauté musulmane au Burkina, qui va veiller à la bonne gestion équitable de cet «élan de solidarité» sans provoquer des frustrations chez certains ? Loin de nous l'idée de prêter au gouvernement des intensions inavouables derrière cette décision, mais le potentiel confligène dont elle est porteuse ne commande t-il pas, au nom de la cohésion nationale, de sursoir à son exécution ?
Quant à la communauté musulmane, du moins ses représentants, ne prend t-elle pas le risque d'entrer dans un rapport de servitude plus ou moins volontaire avec l'Etat ?
Joachim Vokouma
Lefaso.net