Le Ministère des droits humains et de la promotion civique organise les 30 et 31 mai prochain, un Forum national sur le civisme. A l'occasion de cet événement, le fondateur du Centre international d'évangélisation/ Mission intérieure africaine (CIE/MIA), le pasteur Mamadou Philippe Karambiri, donne dans cet entretien réalisé le samedi 25 mai 2013, les causes de l'incivisme au Burkina Faso. Il fait aussi des recommandations pour l'éradication du phénomène.
Sidwaya (S.) : Quelle appréciation faites-vous du niveau de civisme au Burkina Faso ?
Mamadou Philippe Karambiri (M. P. K.) : Il faut faire un constat. Je crois que je suis de la génération qui est au milieu, c'est-à-dire, celle qui a étéà l'école coloniale. J'ai vu aussi l'indépendance et je suis aujourd'hui dans la postindépendance. Il y a donc trois générations qui sont autour de moi. Quand j'observe le niveau de civisme de nos jours au Burkina Faso, comparéà ce qu'il était quand nous étions à la Haute-Volta ou à l'époque coloniale, on voit qu'il y a une certaine dégradation. Plusieurs éléments ont contribuéà cette dégradation. On nous avait appris que le civisme est un pilier majeur de toute société humaine et qu'à cause de cela, nous ne devons pas toucher les mangues de l'école, détruire le jardin de l'école et toucher tout ce qui ne nous appartenait pas. Aussi, nous devons en prendre soin. L'autre élément, est qu'on nous a appris dès notre jeune âge, que chaque citoyen devrait être imprégné de cette valeur cardinale que représente le civisme. En tant que valeur civilisatrice, le civisme a beaucoup baissé au Burkina Faso depuis quelques années. Je peux remonter cela au temps de la révolution. La révolution a fait des grands progrès sur certains points, mais elle a amené, il faut le reconnaître, un peu de désordre dans la jeunesse. En son temps, on méprisait l'autorité et cela nous créé des difficultés aujourd'hui, puisque la jeunesse, en son temps, ne s'est pas imprégnée du civisme.
S. : Ces derniers temps, on constate des actes d'incivisme, des violences de toutes sortes. Qu'est-ce qui explique, selon vous, ces comportements nouveaux des Burkinabè ?
M. P. K. : Considérons que ces comportements sont du vandalisme, c'est le vrai mot. Je crois que ce comportement nouveau des Burkinabè vient du fait qu'on n'a pas appris à la jeunesse, en particulier, à s'attacher à la cité. On ne l'a pas appris à un dévouement à la chose publique et ensuite à l'attachement au bien commun. Les violences auxquelles nous assistons, sont venues de plusieurs niveaux. D'abord, la famille a baissé la main. Ensuite, à l'école primaire, on ne faisait plus du civisme, sauf ces dernières années où on a repris. En fin, les autorités de tout ordre, notamment administratif, politique, coutumier et religieux sont dans le laisser-aller. Un laisser-aller parce qu'on veut des voix. Et quand quelqu'un se met à défendre le civisme, on le traite de quelqu'un qui n'aime pas les gens. Aujourd'hui, on est en train de récolter le désordre que la famille, l'école et l'autorité ont mis sur la place publique. Ce sont les vraies raisons des violences dans nos rues.
S. : Comment renforcer le civisme au Burkina Faso ?
M. P. K. : Il faut commencer par la vie familiale. Que les parents apprennent à parler et à agir conformément à leurs paroles. Parce que quand un père et une mère s'asseyent dans leur salon et disent devant leur enfant que brûler le feu rouge est normal, c'est ce qu'il va faire quand il sera en face du feu tricolore. Il arrive même que l'autorité parentale dise que la chose publique n'a pas d'importance ! Aussi, quand les enfants voient que leurs parents insultent les autorités publiques, automatiquement le civisme prend un coup au niveau de la famille. Cela crée un problème aux enfants. Lorsqu'ils sont dans la rue, ils insultent tout le monde. L'autre élément, c'est l'école. Aujourd'hui, on voit des enseignants qui devraient être d'une certaine moralité pour dire aux enfants qu'ils ont des devoirs et des droits, qui ne le sont pas. Il y a une contradiction. Il faut qu'au niveau de l'école, il y ait une reprise de conscience de l'enseignant. Il doit savoir qu'il est responsable de la génération qui est entre ses mains. Le dernier élément, ce sont les autorités. Que les autorités politiques tiennent leur parole, cela est important. Quand vous dites quelque chose que tout le monde a entendue et vous ne le faites pas, demain vous ne pouvez pas imposer à la jeunesse ce que vous n'avez pas pu faire. C'est la même chose pour les autorités religieuses et coutumières. Nous devons nous dire que nous sommes tous des fossoyeurs du civisme dans notre pays. Nous avons vraiment baissé les bras et aujourd'hui tout le monde crie, mais personne ne veut être responsable. Pour renforcer le civisme, il faut que la famille, l'école et l'autorité se donnent la main. Je pense que ce forum pourrait attirer l'attention des uns et des autres sur ces trois responsabilités.
S. : Quelles recommandations faites-vous à l'Etat pour assurer le civisme au Burkina Faso ?
M. P. K. : L'Etat devrait s'assumer et faire en sorte que la parole donnée, soit respectée. Là, les gens savent que l'autorité a parlé. La parole de l'autoritééquivaut à une loi. Il faut contribuer à réaliser ces choses. Quand on négocie avec des gens ou lorsqu'on parle avec des organisations syndicales et même avec des étudiants, il est important qu'on tienne compte de ce que l'on dit et de ce que l'on a promis. Sinon, tôt ou tard, votre autorité se fend et en ce moment, plus personne ne vous croira. Il faut aussi que l'autorité pratique la justice sociale. Quand il y a deux poids deux mesures, quand certains font du mal et sont dans les rues et d'autres font tout juste un petit tacle et se retrouvent dans des prisons, cela révolte. La population voit ces choses et elle est révoltée par le fait que l'autorité a baissé les bras. Je pense que ce premier forum consistera d'abord, pour les autorités, à s'asseoir eux-mêmes et de s'éduquer en tant qu'autorités administratives et politiques, avant d'aller sur la place publique et dire aux gens d'obéir. Il faut aussi cultiver la morale à travers des conférences avec les jeunes pour leur montrer que le civisme et le patriotisme sont des valeurs importantes et qu'il faut y adhérer pour une société meilleure.
S. : Avez-vous un message à livrer à l'occasion de ce Forum national sur le civisme ?
M. P. K. : Ce forum est une bonne initiative, même si ça vient un peu tard. Il devrait permettre à tous les participants, de s'asseoir et de méditer profondément sur la situation nationale. Quand je circule et que je vois que les gens pensent que la rue est un bien personnel, je me pose la question suivante : où allons-nous ? Il faudra que chaque citoyen, chaque citadin de la ville de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso, prenne conscience que lorsqu'on sort de chez-soi, on est en public et qu'on a des devoirs et des droits. Je lance un appel à chaque citoyen à cultiver une morale collective, à pratiquer au minimum la justice et revenir à un patriotisme parce que le patriotisme est au-dessus du civisme. Si l'intérêt personnel est mis au devant, alors nous sommes en train d'aller vers une catastrophe, parce que ça sera une guerre d'intérêt et on ne saura pas où elle va s'arrêter. Les médias aussi devront continuer à sensibiliser parce que la conscience nationale, ce sont les médias.
Réalisée par Joseph HARO harojoseph36@yahoo.fr
Sidwaya