Quels sont les enjeux liés à la modification de l'article 37 ? L'auteur de cet article, pour répondre à cette question utilise un outil d'analyse des comportements/décisions stratégiques comme modèle de résolution de l'équation. Il aboutit à la conclusion que la stratégie de révision de l'article 37 aura comme issues possibles la conservation du pouvoir par le président actuelle au-delà de 2015 et de la stabilité politique et sociale ; un mouvement très fort de contestation qui pourrait hypothéquer la paix sociale et l'élan de développement de notre pays ; la perte ultérieure du pouvoir par le président actuel.
La stratégie de non révision elle aura comme issues possibles la transition pacifique, la stabilité et le maintient de la paix sociale ; des poursuites judiciaires ou des règlements de compte politique ; la possibilité d'un retour du président Blaise Compaoré aux commandes en 2020 grâce à la popularité qu'il capitalisera et pour cela il faudrait que les partisans du président actuel prennent un certain nombre de précautions. Lisez plutôt
S'il y a un sujet qui fait l'actualité au Burkina Faso et qui la fera au moins jusqu'en 2015, c'est la question de la succession du président actuel Blaise Compaoré. Et le point de convergence des débats est symbolisé actuellement par l'équation de l'article 37 de notre constitution qui stipule que : « Le Président du Faso est élu pour cinq ans au suffrage universel direct, égal et secret. Il est rééligible une fois » (Loi N° 003-2000/AN du 11 avril 2000). Cet article qui s'applique au président Compaoré depuis 2005 exigera en cas de non révision, qu'il remette les clés de Kosyam à un nouveau locataire en 2015.
Pour le moment, aucune réponse claire n'a été trouvée à la question de l'article 37 qui divise deux protagonistes : ceux qui voudraient continuer sur le chemin du Burkina émergeant avec le président actuel et qui souhaitent lever le verrou de cet article qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels et ceux qui pensent qu'il est temps de créer une alternance au niveau de la magistrature suprême afin de donner un sang nouveau à la machine de développement de notre pays.
Quel lien entre l'article 37 et la théorie des jeux ?
Il convient de noter ou de rappeler que la théorie des jeux est un outil d'analyse des comportements/décisions stratégiques utilisé en premier lieu par les économistes, et par la suite par les sociologues et les chercheurs en sciences politiques. Elle permet de modéliser les décisions des agents/acteurs en fonction des réactions possibles des autres face à leurs décisions. Dans cette modélisation, elle décrit en fonction de l'information disponible, les stratégies dominantes (les bonnes et crédibles décisions), les stratégies dominées (les mauvaises et non crédibles décisions) et dégage la meilleure décision de chaque acteur/agent qui permet d'avoir une situation mutuellement avantageuse.
Rapportée à l'article 37, la théorie des jeux peut donc permettre de modéliser les enjeux liés à la modification de l'article 37 et d'y faire ressortir les décisions stratégiques mutuellement avantageuses, des partisans de la modification et ceux de la non modification.
Modélisation de la question de l'article 37 en theorie des jeux
Deux stratégies découlent de ce modèle. La stratégie A qui consiste à réviser l'article 37 et la strétegie B qui consiste à ne pas le réviser. Des issues possibles appelées « gain » sont liées à chaque stratégie étant données l'information disponible et les probabilités associées.
Stratégie A : Révision de l'article 37
Gain A1 : Conservation du pouvoir et de la stabilité politique et sociale
Gain A2 : Crise
Gain A3 : Perte ultérieure du pouvoir
Si les partisans de la modification de l'article 37 décident de le réviser, ils n'auront aucune difficultéà le faire. En passant par l'Assemblée Nationale, ils ont 100% de chance de réussir, le parti au pouvoir y étant majoritaire.
Trois gains (ou issues possibles) peuvent découler de cette modification. Le premier gain (Gain A1) qui est celui souhaité est la conservation du pouvoir et de la stabilité politique et sociale.
Mais force est de constater en fonction de l'information disponible qu'une révision de l'article 37 peut ne pas donner le Gain A1. Il y a des chances que l'issue attendue soit différente et s'oriente plutôt vers le Gain A2. En effet, la volonté des burkinabè de ne pas voir l'article 37 être modifié est une évidence et une information à prendre en compte. Déjà les travaux du Cadre de Concertation pour les Reformes Politiques n'ont pas permis d'avoir un consensus sur ce point. De plus les résultats du Round 5 des enquêtes Afrobaromètre (données collectées en octobre 2012) illustrent que la majorité des burkinabè sont en désaccord pour une révision de l'article 37 afin de permettre au président Blaise Compaoré de se présenter pour un nouveau mandat en 2015 (54% sont en désaccord, 6% ne sont ni d'accord ni en désaccord, 30% sont d'accord et 10% sont indécis). Il y'a donc de fortes chances qu'il y'ait des contestations qui peuvent aboutir à une crise dans notre pays. Une telle crise pourrait déstabiliser le pays et ralentir l'élan de développement.
Cette crise en fonction de son ampleur peut conduire au Gain A3 qui est la perte ultérieure du pouvoir par le président actuel car généralement les solutions de sortie des grandes crises n'écartent pas le départ négocié ou forcé du président.
La stratégie A qui consiste à réviser l'article 37 apparait donc comme une stratégie dominée car plutôt que de permettre la conservation du pouvoir et de la stabilité politique et sociale, elle pourrait engendrer une crise dans notre pays et se conclure par le départ du président.
Stratégie B : Non révision de l'article 37
Gain B1 : Transition pacifique, stabilité et maintient de la paix sociale au Burkina Faso
Gain B2 : Popularité du président Blaise Compaoré
Gain B3 : Possible retour à la magistrature suprême en 2020 ;
Gain B4 : Poursuites judiciaires ou des règlements de compte politique
Le premier résultat qui apparaitra si l'article 37 n'est pas modifié c'est la transition pacifique, la stabilité et la consolidation de la paix sociale dans notre pays (Gain B1).
Laisser l'article 37 intact produira incontestablement un autre résultat qui est le Gain B2. En effet, le peuple burkinabè prendra en compte et à sa juste valeur, cet acte héroïque du Président Blaise Compaoré qui grimpera en popularité. Cette popularité lui assurera tout le soutien et la protection nécessaire et fera incontestablement de lui un favori aux élections présidentielles de 2020 s'il souhaite revenir (Gain B3).
Mais force est de constater que si le départ de Blaise Compaoré marque également la fin du régime CDP, la stratégie B pourrait conduire au Gain B4 désigné par des poursuites judicaires ou des règlements de compte politique.
Si la loi portant amnistie des anciens Chefs d'Etats de 1960 à nos jours et la popularité capitalisée par le président actuel lui assureront surement la protection qu'il faut, aucune garantie n'est établie quant à celle de l'ensemble de ses partisans. L'expérience a démontré que la chute d'un régime sous nos cieux est toujours suivie de tracasseries/poursuites/règlements de compte politique à tort ou à raison des anciens dignitaires par le nouveau régime. L'exemple le plus récent est celui du Sénégal ou beaucoup de partisans de l'ancien régime de Abdoulaye Wade subissent des tracasseries ou des poursuites de la part du nouveau régime.
Pour éviter donc tout cela, les partisans de la révision de l'article 37 ou les dignitaires du régime actuel devraient designer en leur sein et préparer un homme de confiance, charismatique et capable d'assurer la relève après le départ du président Blaise Compaoré . Pour cela ce ne sont pas des noms qui manquent et vus la base et les moyens dont dispose le parti au pouvoir, il pourra faire élire sans trop de difficultés son candidat aux élections présidentielles de novembre 2015.
La stratégie B qui consiste à ne pas réviser l'article 37, suivi de cette précaution (information supplémentaire) apparait donc comme une stratégie dominante car elle permet de garantir la transition pacifique, la stabilité et le maintient de la paix sociale, accroit la popularité du président Blaise Compaoré qui a la possibilité s'il le veut de revenir aux commandes en 2020 et assure la protection des partisans de celui-ci.
Adama Tiendrebéogo
Economiste-statisticien
E-mail : tabz822@yahoo.fr