Le récit des faits montre qu'un drame se préparait à Zabré et ses environs. Des prémisses se faisaient de plus en plus précises. Dans certains milieux, on avait même franchi la ligne rouge, en décrétant la mort d'un homme. Un homme devrait mourir. Une vie, c'est déjà trop, mais on en a perdu plus. Dix jours chrono entre le 20 et le 30 décembre. Au 11ème jour, comme on devait s'y attendre, tout bascule. La succession fatale des évènements depuis au moins le 20 décembre a fini par serrer l'étau autour de la personne de Sambo Bandé. Trois faits malheureux se sont produits les 20, 26 et 30 décembre 2012. Le dernier fait est celui qui a fait déborder le vase.
Tout commence le 20 décembre dans le village de Sangou. Le village se trouve à 2km environs de Zabré dont il relève. Un groupe de personnes s'est présenté ce jour là au domicile de Barry Souley. Selon le récit de ce dernier, les visiteurs au nombre de 16 sont arrivés sur huit motos. Ils étaient armés de fusils et recherchaient Souley en personne qu'ils accusent de vol de deux bœufs. Faute du père (Barry Souley), ils ont pris son fils de 13 ans qu'ils ont sommés de démarrer une moto qui était garée dans la cour et à les suivre. A quelques mètres de la maison, ils ont rencontré le père lui-même qui revenait d'une boutique. Ils ont abandonné l'enfant pour s'occuper de son père. Ils expliquent qu'ils ont perdu deux bœufs et que Souley est au courant.
Barry réfute les faits et une discussion s'engage entre lui et le groupe constitué uniquement de Bissa. Pendant que le ton montait, est apparu un conseiller municipal, Ganga Issaka, du village de Yorko (il serait actuellement détenu à Tenkodogo). Celui-ci aurait conseillé d'exécuter Souley. « Qu'attendez-vous pour le fusiller ? », aurait-il demandé aux autres. A cette question, Souley s'est échappé et un coup de feu serait parti, mais ne l'a pas atteint. Le père s'étant sauvé, le groupe a rattrapé l'enfant qui repartait à la maison sur la moto. C'est lui finalement qui a essuyé un tire et est tombé de la moto.
Un jeune du nom de Bêra, il serait le fils de Sambo Bandé, et il était dans la famille de Souley Barry comme berger, est venu au secours de l'enfant de son logeur. Selon des témoins, les deux ont été frappés, ligotés et transportés de Sangou à Yorko, distant de 5km. Sur médiation du commissaire de police de Zabré, les deux Peulhs ont été ramenés le même jour au commissariat de police de Zabré où ils ont été remis à leur famille. En petits groupes, des Bissa auraient poursuivi ce 20 décembre, des exactions contre d'autres familles peulhs. C'est ainsi qu'à Fulbé, quatre Bissa qui auraient tenté d'enlever un Peulh dans sa famille ont rencontré une résistance organisée. Yacouba Sarbré, un des quatre Bissa, a été pris, mais ses camarades ont réussi à s'enfuir. Les Peulhs ont maîtrisé Yacouba jusqu'à l'arrivée de la gendarmerie qui l'a emmené. Yacouba y passe seulement la nuit du 20 décembre. Le lendemain, la population exige sa libération au motif de le soigner.
La gendarmerie refuse, mais commet deux gendarmes pour l'amener à l'hôpital. C'était dans l'après-midi. Une fois Yacouba et les gendarmes sortis du centre de santé, une foule s'organise et attend sur le chemin. Ils ont été interceptés. La population refuse la réincarcération de Yacouba et les pandores ont dû se plier à la volonté de la foule. Yacouba est arraché aux gendarmes, mais ceux-ci ne renoncent pas. Depuis le 20 décembre, une plainte a été déposée à la gendarmerie contre l'intéressé. Les gendarmes vont user de moyens pacifiques avec l'implication des autorités coutumières. C'est ainsi que de manière pacifique, deux personnes dont Yacouba ont été remises à la gendarmerie quatre jours après, soit le 24 décembre. Aussitôt arrivés, ils ont été déférés à la maison d'arrêt de Tenkodogo.
Ils sont accusés d'enlèvement et séquestration. Le lendemain, un parent des interpellés est venu leur apporter à manger et a appris qu'ils ont été déférés. La population s'est soulevée une deuxième fois pour exiger leur retour à Zabré. De source militaire, les deux personnes en question sont toujours gardées à Tenkodogo. Autour de cette incarcération, la tension était toujours vive entre les communautés peulh et bissa, jusqu'au 25 décembre.
Une conciliation sans sincérité
Le 26 décembre, un nouvel incident vient en rajouter à la tension. Une altercation oppose un groupe de jeunes bissa à Bandé Sambo, l'ennemi de mire N°1 (lire « Sambo est-il le malheur de Zabré ? »). Le domicile de Sambo est situé au secteur 7 de Zabré, environ quatre kilomètres du centre de Zabré. Le 26 décembre, en se rendant au centre-ville sur sa moto avec une de ses épouses, il tombe sur des jeunes qui ont barré la route à son passage. Il s'en plaint aux jeunes et une dispute éclate. Selon une source, c'est Sambo qui a été le premier à donner un coup de tête à un des jeunes. D'autres jeunes sont donc venus se joindre aux premiers et ensemble, ils ont pris le dessus sur Sambo qui a été violenté et injurié. Immédiatement, il s'est rendu à la gendarmerie porter plainte contre nommément Bancé Moussa et Bancé Boro pour « injures et violences légères ».
Une convocation a été remise le même jour aux mis en cause. Selon une source, Sambo et ses proches sont restés à la gendarmerie jusqu'à 3h du matin, attendant que les deux intéressés viennent répondre, mais ce fut vain. Le lendemain, les deux parties se sont retrouvées chez le chef de Zabré pour une conciliation. Le chef réussit à ramener les deux parties à la raison. Sambo est lui-même retourné informer la gendarmerie du règlement amiable, mettant ainsi fin à la procédure au niveau de la gendarmerie. Mais, on pense que cette conciliation n'a pas été sincère. Les cœurs étaient toujours lourds de rancœur à en juger par cet autre incident qui s'est produit immédiatement après la conciliation. Devant le palais du chef, au moment de partir, un enfant peulh a traverséà moto un endroit qui est réservé aux sacrifices. Il a été pris à partie par des jeunes de la famille du chef.
L'enfant a été frappé et même blessé. Selon le chef de Zabré, naaba Kougri, rencontré le 12 janvier à son palais, l'incident a effectivement eu lieu, mais il dit que l'enfant ne savait pas que l'endroit était réservéà des rites et il est intervenu lui-même pour empêcher aux jeunes de le frapper. Tout simplement, ajoute le chef, l'enfant est tombé de sa moto quand les jeunes ont tiré la moto pour l'arrêter.
La dernière goutte de la vase
Le spectre d'un affrontement se précisait. Un incident faisait toujours place à un autre. Le 29 décembre, Jacques Barry, dans le village de Yorko, conduisait un troupeau de bœufs. Au passage des animaux à côté de la concession de Boussim Tobagouré, les bœufs ont brouté les eucalyptus plantés par Boussim. En représailles, il frappe l'enfant avec un gourdin et le blesse à la tête. Selon Oumarou Barry, le papa du berger, l'enfant a même été menacé avec un fusil. Le même jour, l'agression a été signalée à la police qui a délivré une convocation à Boussim. En l'absence du concerné, c'est une fille de la famille Boussim qui a reçu la convocation pour transmettre. Toute la journée, Boussim ne s'est pas présenté au district de police. Le commissaire, Emile Kafando, prend la décision de passer à une interpellation forcée. Au petit matin du 30 décembre, le commissaire envoie deux de ses agents pour aller arrêter le sieur Boussim.
L'heure à laquelle les policiers sont arrivés chez Boussim constitue un objet de polémique dans le conflit actuel. Du côté de Boussim et de ses soutiens, on avance que les deux policiers sont venus dans la famille à 4h du matin et certains parlent même de 3h du matin. Le commissaire de police affirme, lui, que ses éléments ont quitté leur base à 5h30 pour arriver chez Boussim à 6H. Tout semble indiquer qu'il faisait encore sombre lorsque les policiers ont fait irruption dans la famille Boussim.
Dernier jour de l'année, jour de drame
Le chef de Sangou, relatant les faits le 12 janvier lors d'une rencontre avec le Haut-commissaire du Boulgou, affirme qu'un des policiers est entré dans la cour par la porte tandis que l'autre est passé par le mur pour atterrir dans la concession. Leur intrusion a provoqué le chien qui s'est mis à aboyer et le locataire de la maison est sorti. C'est Boussim en personne qui s'est retrouvé face à face avec les deux agents en mission. Un policier aurait tiré un coup de fusil qui a paniqué la famille. Il s'en est suivi une lutte au corps à corps entre les deux hommes. Les épouses et les autres membres de la famille sont sortis porter main forte à Boussim qui réussit à maîtriser le policier qui n'était plus que seul puisque son binôme s'est enfui dès qu'il a senti que la mission allait tourner autrement.
Le policier a été terrassé, son arme lui a été retirée et il a été ligoté sur place jusqu'à l'apparition du jour. Selon les proches de Boussim, ce n'est qu'au matin qu'ils ont su que leurs « agresseurs »étaient des policiers. Très tôt le matin, à 6H selon une source digne de foi (ce qui fait douter des horaires donnés par le commissaire de police), Boussim et les siens sont allés signaler à la gendarmerie ce fait qu'ils assimilent à une tentative d'assassinat de Boussim. Il a fallu l'intervention du chef de Sangou, informé au téléphone par le commissaire de police, pour obtenir la libération du policier. Par contre, la famille refuse de rendre le pistolet de la police. L'affaire quitte la famille Boussim pour prendre une autre dimension.
Maintenant, elle va concerner toute la population. La tension est restée vive toute la journée et vers 15h, une foule de près de 200 personnes est allée à la gendarmerie pour remettre l'arme du policier. La population estime que seule la gendarmerie est habilitée à discuter avec elle et elle ne veut plus entendre parler de la police. Les mécontents vont plus loin et exigent le départ du commissaire de police, l'élargissement de Yacouba Sarbré et un autre détenu, tous les deux incarcérés à Tenkodogo. A propos de l'arme, le commissaire de police refuse qu'elle soit remise aux gendarmes. Il tenait à ce que la population vienne rendre l'arme à la police. Effectivement, la population s'est déportée à la police, mais au lieu de remettre l'arme, les locaux de la police ont reçu des jets de pierres.
Le film de la journée ne s'arrêta pas là. Dans la nuit, on enregistre les premiers incendies de concessions peulhs au nombre de quatre dans les villages de Zabré. Le lendemain 31 décembre, dernier jour de l'année, la population revient à la charge dès le matin. Il y a une convergence entre les mécontents de Sangou, de Yorko, de Zabré centre et d'autres villages. C'est d'abord au commissariat de police puis à la gendarmerie que les manifestants se signalent. Dans les rues de Zabré, un Peulh chassé par la foule se réfugie dans les locaux de la gendarmerie et les assaillants demandent qu'il soit livré. La gendarmerie se montre intransigeante, mais c'est surtout le déplacement du chef de Zabré, Sa Majesté Kougri, qui permit de désamorcer les manifestants. Le Peulh est sauf mais sa moto abandonnée est récupérée et passée aux flammes. Il était autour de 10H. La foule feigne de se dissiper. Vers 13h, la foule draine entre 500 et 600 personnes en direction du secteur 7 de Zabré. Le cap est mis sur le domicile de Sambo Bandé. Il sera fusillé ainsi que cinq membres de sa famille. Dans certains villages, les manifestants, en pyromanes, retournent et organisent la chasse aux Peulhs.
Cédric Kalissani
MUTATIONS N° 21 du 15 janvier 2013. Bimensuel burkinabé paraissant le 1er et le 15 du mois (contact :mutations.bf@gmail.com)