1. Histoire de titre(s)
En découvrant le texte de M Étienne TRAORÉ, à qui M DJIBO à lui-même répondu, je m'étais un peu amusé de ce que Étienne Traoré, malgré toute la puissance de critique et de résistance qu'on lui connaît, ait laissééchapper de sa vigilance critique l'utilisation d'un titre honorifique trop facilement reconnu à nos dirigeants africains même les plus démocratiques : "Son Excellence". Comme s'il avait craint de commettre un crime de lèse-majesté en n'utilisant pas ce titre passé-partout.
Entendons-nous : il n'est pas question d'appeler à manquer de respect au Président d'un Etat, mais, d'une part, on peut remarquer que dans aucune des grandes démocraties, où l'on a pourtant le sens et la culture des formules civilisées de politesse et de respect, les dirigeants ne sont pas des"excellences" ; d'autre part, le respect, pour le philosophe que je suis au même titre que M. Traoré (et, peut-être, M Djibo), le respect n'a jamais la signification d'une soumission. C'est le sens de la formule que KANT reprend à FONTENELLE : "Devant un grand seigneur, je m'incline, mais mon esprit ne s'incline pas". Je m'incline sans m'abaisser, au nom de ce qui fait personne en l'homme : la dignité. Que donc Étienne Traoré se soit senti comme obligé d'utiliser ce titre à son tour, mais comme un aveu de soumission déjàà celui-là dont il entend dénoncer les velléités de dynastisation, voilà mon petit sourire.
On l'aura compris, mon discours se revendique de la philosophie, mais sans en appeler à aucun titre, car titre ne fait pas créance. Que les lecteurs ne s'en offusquent pas : il y a bien des juristes aussi qui, du haut de leurs titres et parfois depuis la distance de leur lieu de résidence, parlent et publient ici. Mais si des gens de loi devaient être loquaces et se montrer à nous dans leurs belles robes, alors que le Droit et la justice qu'il renferme sont, eux, silencieux voire muets dans notre pays, c'est cela qui devra donner à penser à tout burkinabè. Et le philosophe ne fait que, selon le rôle que lui assigne par exemple WITTGENSTEIN, placer "toute chose devant nous", ou étaler les choses "devant les yeux".
2. Fondation et fondement
Venons-en à la chose elle-même : c'est par souci de rigueur philosophique que j'aimerais répondre à Mamadou Djibo qui s'est ouvertement adresséàÉtienne Traoré dont je ne suis pas ici l'avocat (il a les moyens, je pense, de se défendre tout seul), mais qui avait le mérite de mettre le doigt, dans son texte, sur l'énorme question philosophique, politique et juridique, de la légitimité que M. Djibo n'a pas vue. C'est en effet dans la confusion qu'il pense pouvoir opposer à la légitimité dont parle E.Traoré un problème de fondation ou de sous-bassement qu'il pense avoir trouvé dans l'histoire des mathématiques, alors que le problème de la légitimité philosophiquement et politiquement a davantage à voir avec le fondement.
A. Je ne m'attarderai pas sur ce qui n'est même pas une caricature mais une ignorance manifeste de la pensée mathématique à laquelle il fait référence : E. Kronecker n'existe pas, Leopold oui, mais il est loin d'être à l'origine de la crise de la théorie des ensembles qui s'est d'abord jouée entre le jeune Bertrand RUSSELL et Gottlob FREGE ; le problème étant qu'en voulant, comme Frege, fonder toutes les mathématiques sur la logique, on se retrouve avec cette contraction toute...logique d'un ensemble des ensembles qui ne se contiennent pas comme élément après avoir admis que tout ensemble quelconque pouvait s'appartenir à lui-même comme élément.
La faiblesse de la fondation fregeenne venait alors de cela même sur quoi il voulait asseoir et réunir les mathématiques : la logique. Autant rappeler (M Djibo l'ignore sans doute) que la fondation des mathématiques s'est quand même, malgré et grâce à la crise, poursuivie par une plus grande formalisation (HILBERT), et surtout une axiomatisation (ZERMELO-FRAENKEL) qui permet d'éviter les contradictions que Russell trouvait contre la logique "naïve" de Frege. Comme si le besoin et la nécessité de fonder toutes nos entreprises étaient invincibles !
B. De la confusion donc entre fondation des mathématiques et la légitimité d'un fondement ou d'une raison, M Djibo en vient forcément à une analogie qui n'est qu'un sophisme : de même que la fondation des mathématiques a généré une crise dans la théorie des ensembles, de même nous devrions nous effrayer des conséquences d'une légitimité"hypostasiée" du consensus. Et des consensus, il dit qu'ils se construisent et se déconstruisent, comme par simple jeu
3. La RAISON (introuvable) d'un référendum
Sauf que le jeu politique n'est pas qu'un jeu, qui se réduirait au pur formalisme des pratiques démocratiques (élections, référendum...), un jeu d'enfants, où l'on joue pour jouer et s'amuser (aller au référendum "dans l'allégresse", écrit-il). C'est un jeu fondé, et fondé comme un "jeu de langage" au sens où l'entend WITTGENSTEIN, un système normé de communication et d'interaction qui a des règles.
L'enjeu c'est la raison d'être du jeu, de son fondement, qui est de respecter les règles qui seules permettent de jouer. Autrement dit, pour qu'un jeu reste sérieux (et le jeu politique doit l'être), on ne peut jouer avec cela même qui permet de jouer. Soit la Constitution comme ultime fondement d'un jeu politique vraiment démocratique.
Personne ne dit qu'une constitution ne peut (doit) se modifier et rester immuable, mais il ne peut sérieusement y avoir une modification d'une constitution qui ne se justifie pas, qui soit sans fondement et sans raison. En effet la question de la légitimité est celle du fondement et du droit (quid juris, de quel droit ?).
Le procédural comme simple jeu n'a pas sa raison d'être ou son fondement en lui-même, mais il est toujours suspendu à du déontique, à l'obligation d'une règle, d'un principe ou d'une norme dernière qui est sa condition de possibilité (c'est le transcendantal kantien). Or, comment pourrait-on JUSTIFIER, c'est-à-dire ramener à une raison qu'on nous indiquerait et qui suffirait pour modifier un article de la constitution. L'intérêt national est-il menacé ? Par quoi, par qui donc ? Au contraire, il faudrait craindre que ce soit le parti modificationniste qui devienne la menace et le danger mêmes ! Est-ce que le Burkina et sa démocratie périront si un article de la constitution n'est pas modifié ??
La vraie question à poser pour un référendum possible n'est pas, et ne peut pas être : voulez-vous modifier l'article 37 ? Puisque le peuple qui est seul souverain doit y trouver une raison qui ne peut pas être celle-ci non plus : on modifie parce que la constitution permet de modifier. Oui, la constitution permet qu'on la modifie, mais pas de modifier cet article-là ! Ou alors il faudra changer de constitution, c'est-à-dire tenir l'actuelle pour non valable, et en indiquer la raison.
Le peuple n'a pas à deviner la raison qui justifierait une modification de cet article de sa constitution, c'est à son mandataire ou commissaire de la lui exprimer pour qu'il l'a juge et mesure. Et du coup, derechef, la question d'un possible référendum ne sera pas de savoir si oui ou non le peuple burkinabè veut modifier cet article de la constitution, mais s'il accepte la raison qui justifierait cette modification.
Or il nous semble qu'on n'a même pas besoin d'aller à un référendum pour le savoir, parce que la raison n'est pas avouée ni avouable. Et elle n'est pas avouable précisément parce qu'elle concerne moins le bien commun des burkinabè que l'intérêt personnel de son commissaire. Allons-nous vers une dictature de commissaire au Burkina Faso ?
C.K.D. DABIRE
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