Le professeur d'économie de l'Université de Ouagadougou, Idrissa Ouédraogo, fait partie des chercheurs qui ont réalisé une étude dont le rapport-publié il y a quelques semaines- atteste d'une bonne gestion des finances publiques au Burkina Faso au cours des dix dernières années. Des tenants et des aboutissants de cette étude qui a concerné aussi deux pays anglophones-Ghana et Malawi- le chercheur burkinabè en parle dans l'entretien qu'il nous a accordé.
Lefaso.net : Avec deux autres chercheurs et pour le compte d'un groupe de partenaires techniques et financiers, la Banque africaine de développement, le Danemark et la Suède, vous avez mené une étude sur la réforme de la gestion des finances publiques au Burkina, au Ghana et au Malawi de 2001 à 2010 et dont le rapport a été publié. Quelles sont, brièvement, les grandes conclusions de l'étude ?
Pr Idrissa Ouédraogo : Il me semble important de commencer par féliciter la rédaction de LeFaso.net d'avoir remarqué cette étude et de songer à partager ses résultats avec ses lecteurs. Ceci me parait important à dire car pour une fois que notre pays révèle de bonnes performances dans un domaine aussi complexe et technique que la réforme de la Gestion des Finances Publiques (GFP), il convient d'en parler. Du fait que cela n'arrive pas souvent, il faut reconnaitre le mérite des réussites et les porter aux citoyens.
Notre étude révèle que les programmes de réformes de la GFP mis en place au Burkina Faso ont permis d'accomplir des progrès considérables dans les domaines clés de la gestion des finances publiques. La Revue des Dépenses Publiques 2009, réalisée par la Banque Mondiale, a indiqué que « le Burkina Faso fait office de leader de la GFP en Afrique » (World Bank 2009). C'est le seul pays francophone d'Afrique au Sud du Sahara qui, avec l'Île Maurice, obtient un score EPIN (Evaluation de la Politique et des Institutions Nationales (en anglais CPIA)) supérieur à 2.5. L'EPIN est un rapport édité par la Banque Mondiale et il sert à mesurer les performances des pays pauvres en matière de gouvernance.
De plus, les évaluations PEFA (Public Expenditure and Financial Accountability, un programme qui a été développé en 2001 pour évaluer le système des finances publiques d'un pays à un moment donné) de 2007 et de 2010 indiquent des évolutions significatives dans les domaines de la budgétisation stratégique, la préparation du budget, le contrôle, la comptabilité et la présentation de rapports internes.
Toutefois, la question du contrôle externe et celle des marchés publics restent des sujets de fortes préoccupations. Les reformes de GFP ont eu très peu d'effet sur l'efficacité dans ces domaines. On observe ainsi que la Cour des Comptes qui a été créée en 2000, a connu et continue de connaitre des difficultés de fonctionnement qui affectent fortement l'efficacité de cet organe de contrôle. Le contrôle externe par l'Assemblée Nationale a connu une détérioration de sa note PEFA (Programme d'évaluation des systèmes financiers publics) entre 2007 et 2010 : Il convient cependant de préciser que ce volet du contrôle externe n'a pas été pris en compte dans les réformes de la GFP.
Lefaso.net : Parlez-nous des objectifs de l'étude et des difficultés que vous avez rencontrées dans sa réalisation ?
Idrissa Ouédraogo : Dans le cadre de cette étude, nous cherchions à apporter des réponses à deux interrogations majeures. Tout d'abord, nous voulions déterminer quelles sont les situations dans lesquelles les réformes de la GFP génèrent de bons résultats et qu'est ce qui explique cela ?
Dans un second temps nous nous sommes atteléà identifier les cas dans lesquels l'appui des Partenaires Techniques et Financiers aux efforts de réformes de GFP contribuent le plus efficacement aux succès de ces réformes et quelles en sont les raisons ? En d'autres termes, nous voulions savoir quel est le contexte et quels sont les mécanismes qui expliquent le mieux les succès des réformes des GFP.
En guise de difficultés, je dois avouer que nous n'en avons pas tellement rencontré. Tous ceux que nous avions souhaité rencontrer ont accepté jouer le jeu. Nous avons ainsi eu l'occasion de discuter tant avec les agents du secteur public qu'avec ceux du secteur privé et ceux des Organisations de la Société Civile et les PTF. Cette disponibilité des acteurs est probablement liée au fait que les différentes parties, notamment les agents du secteur public, étaient conscients de la qualité des réformes mises en place.
Lefaso.net : Le rapport crédite le Burkina de bons résultats en matière de gestion de finances publiques. Qu'est-ce qui justifie ces si bons résultats ? Pr Idrissa Ouédraogo : L'étude a identifié trois facteurs qui permettent d'expliquer le succès des réformes de la GFP au Burkina Faso.
En premier lieu, nous avons noté un engagement politique fort et durable de la part de l'exécutif en faveur du processus de réforme de la GFP. En réalité, il serait vain d'entreprendre des réformes dans ce domaine sans un engagement réel des autorités politiques du pays. On a très souvent pensé que les réformes de la GFP sont des mesures purement techniques qu'il faut laisser à la seule charge des techniciens.
Cette perception est erronée et mérite d'être corrigée car, pour que ce processus ait les résultats escomptés, il doit commencer par l'Exécutif notamment à travers le ministère des Finances et son équipe qui travaille en étroite collaboration avec le Président et/ou le premier ministre et les autres Ministres. C'est ce qui a été observé dans le cas du Burkina Faso contrairement aux autres pays étudiés dans le cadre de cette étude. Il me parait aussi essentiel d'indiquer que tous les Ministres des finances qui se sont succédé depuis 1991 avaient tous une solide expérience de la GFP et avaient montré un intérêt réel pour la réussite des réformes entreprises.
Il faut aussi retenir que pour une bonne réussite des réformes de la GFP et leur pérennisation, il serait utile de sensibiliser les partis de l'opposition sur la nécessité et l'importance de ces réformes. Cela permettrait d'assurer la continuité des réformes en cas de changement de régime.
L'étude a ensuite identifié l'existence d'un cadre solide dédiéà la mise en œuvre des réformes. En fait, la conception des structures de coordination et de gestion des réformes de la GFP, leur positionnement dans la chaine de commandement et le choix des techniciens devant y travailler sont déterminants dans la réussite des réformes.
Le modèle adopté par le Burkina Faso est intéressant à plusieurs égards. Le Burkina Faso a opté pour la mise en place d'un Secrétariat Technique, le SP PPF (Secrétariat Permanant pour le suivi des Programmes et Politiques Financières) qui est mis sous l'autorité directe du ministre des Finances. Ce dispositif s'est révéléêtre plus efficace qu'une structure directement rattachée à la Présidence ou à la Primature. Le risque avec une structure ancrée hors du Ministère des finances, est de voir sa légitimité remise en question (ouvertement ou sournoisement) par les agents du ministère des Finances. Notons qu'avec le nouvel organigramme du MEF, le SP PPF a été démantelé.
Le dernier facteur explicatif du succès des réformes au Burkina Faso tient à l'existence d'un cadre structuré unifié pour la coordination des appuis des PTF au programme, pour le suivi des progrès et pour la gestion du dialogue avec les parties prenantes extérieures et nationales. Cela a été point déterminant pour assurer l'alignement des appuis extérieurs sur les priorités nationales.
En plus de ces facteurs majeurs, on pourra retenir autres éléments complémentaires qui ont fortement contribué au succès des réformes au Burkina Faso. Il s'agit en premier lieu de la bonne qualité technique des agents affectés à la conception et la mise en œuvre des réformes de la GFP. Notre étude a, en effet, noté que les fonctionnaires qui étaient dévolus à ces tâches avaient des capacités techniques supérieure à la moyenne de l'Afrique subsaharienne. Nous pensons que cela est en partie dû au fait qu'au Burkina Faso, le programme de réformes de la GFP accorde une place importante à la formation et au renforcement des capacités. En cela, l'ENAREF joue un rôle primordial.
Le second facteur complémentaire qui permet d'expliquer la réussite des réformes au Burkina Faso tient au degré de centralisation du pouvoir politique, des institutions budgétaires et du processus de réforme du budget. Sur le plan politique, il est important de noter que depuis très longtemps l'exécutif dispose d'une majorité confortable au niveau de l'Assemblée Nationale ce qui fait que très souvent, les propositions de réformes rencontrent peu de résistance au niveau du législatif. Les projets subissent très peu de modifications de la part de l'Assemblée Nationale. Ce faisant, le gouvernement a pu conduire ses réformes selon sa logique et avec une certaine cohérence. En plus de cela, il faut noter la prééminence du Ministère de l'Economie et des finances sur les autres ministères. Le MEF était doté d'un pouvoir qui lui permettait de s'assurer que les autres départements sectoriels s'impliquaient fortement dans la mise en œuvre des réformes.
Lefaso.net : Mais, le reproche que l'on fait le plus souvent aux études comme celle que vous avez menée, c'est qu'elle débouche généralement sur des données économiques favorables qui, malheureusement, ne se reflètent pas dans le panier de la ménagère. Pouvez-vous dire que la bonne gestion des finances publiques au Faso durant la période ci-mentionnée a eu un impact positif sur la situation économique du Burkinabè lambda dans le même temps ?
La GFP ne suffit pas à elle seule pour générer des revenus supplémentaires. Le développement va au-delà de la bonne performance des Finances Publiques. La gestion des finances publiques est un élément essentiel et déterminant pour assurer de bonnes performances économiques ; c'est un facteur permissif mais pas suffisant. Pour répondre directement à votre question, je dirais qu'on ne peut pas attribuer de façon aussi directe les impacts des performances économiques sur les populations à une politique donnée. Les résultats engrangés sont souvent le fait d'un ensemble d'actions dont les impacts individuels sont difficiles à isoler.
Au cours de la décennie passée (2000-2010), le taux de croissance annuel du PIB au Burkina Faso était de 5,2% en moyenne. Ce taux était plus élevé que le taux moyen des autres pays de l'UEMOA qui lui, était estiméà 3,7% pour la même période. Peut-on dire que les bonnes performances sont liées aux réformes des GFP ? Rien n'est moins sûr !
En tout état de cause, notez, ces performances économiques ne ce sont pas traduites par une amélioration du niveau de vie des populations. C'est ce que d'aucun ont qualifié de paradoxe burkinabè (des taux de croissance élevé qui n'ont pas d'impact positifs sur le commun des citoyens). Tout ceci pour dire que les phénomènes économiques ne sont pas toujours faciles à appréhender
Lefaso.net : Au-delà des résultats positifs, que peut-on retenir comme insuffisances dans la gestion des finances publiques du Faso sur la période 2001-2010 et qui méritent d'être corrigées pour une meilleure santé de notre économie ?
Pr Idrissa Ouédraogo : L'un des plus gros problèmes à relever dans le cadre de la Gestion de Finances Publiques et qui demande àêtre corrigé se trouve dans le domaine des marchés publics. Le Burkina Faso a essayé, à travers ses différentes réglementations, de se conformer aux normes internationales. La réglementation sur les marchés publics a été modifiée en 2008 et 2009 pour l'harmoniser avec les directives de l'UEMOA. C'est dans ce cadre qu'un texte sur la maîtrise d'ouvrage déléguée a été adopté et que l'Autorité de Régulation des Marchés Publics (ARMP) a été créée pour assurer la séparation des fonctions de régulation et de règlement des différends des fonctions de passation des marchés et de contrôle a priori. Selon les textes, les appels d'offres ouverts sont la règle et ses dérogations devraient être étroitement contrôlées. La publication des appels d'offres et de leurs résultats se fait quotidiennement dans la revue des marchés publics.
Mais malgré cela, on observe beaucoup d'opacité et d'anomalies dans la mise en œuvre de ces réformes. Le cadre règlementaire est toujours très mal maitrisé notamment, pour les établissements publics d'Etat. Selon les rapports de certains organes de contrôle tels que la Cours des Comptes et l'Inspection des finances, les règles sont insuffisamment respectées.
Bien que le recours aux marchés de gréà gré est en baisse, certains marchés d'importance continuent à se faire sur cette base, du fait en particulier, du recours à des procédures dites d'urgence. De fait, on note l'existence d'insuffisances graves et fréquentes dans la passation, l'exécution et le contrôle des marchés publics. Des insuffisances sont aussi observées dans la gestion des établissements publics notamment, dans le cadre des achats de matière. Tout ceci explique certainement pourquoi 37% des plaintes à l'ARMP en 2010 ont été considérées comme valides et fondées.
Il faut aussi signaler les contre-performances des organes de contrôle externe qui sont la cours des comptes et l'Assemblée Nationale. Ces structures ont de réelles difficultés à assurer correctement leurs rôles.
Entretien réalisé par Grégoire B. BAZIE
Lefaso.net
Lire aussi : Développement : L'économie burkiniabè a réalisé de bonnes performances depuis 2007