Les « forums des Internautes » ont permis la réappropriation de la parole citoyenne, sonnant ainsi le retour en grâce de la démocratie directe. Le présent article interroge le sens de cette désintermédiation institutionnelle croissante par la convocation de Kôrô Yamyélé, figure emblématique du cyber activisme au Burkina Faso.
Au Burkina Faso, le cyber activisme par voie de blogs est assez embryonnaire. Les commentaires des Internautes sont publiés surtout via des forums en ligne, souvent repris dans les journaux. Comme partout ailleurs, la prise de parole citoyenne se fait sur fond de réfutation des médiateurs institutionnels au profit des médias.
I. Le rejet des médiateurs institutionnels
1. La libre tribune, exutoire à la crise des institutions
Le paradoxe est saisissant entre les attentes galopantes des citoyens vis-à-vis de l'Etat et la farouche volonté de ceux-ci de s'émanciper de l'emprise des institutions. Rejoignant les citoyens dans leur fuite hors du réel, Internet leur permet d'investir royalement le champ du virtuel.
L'anonymat, par l'usage des « pseudos », accroît l'ivresse que crée le dédoublement de la personnalité. Kôrô Yamyélé n'est ni jeune ni vieux, ni homme ni femme, ni partisan ni opposant ; il exprime une opinion désincarnée et impersonnelle. Pour autant, l'anonymat ne consacre pas une zone de non-droit. Les commentaires des Internautes doivent passer à travers le « filtre » de l'éditeur du site qui en assume la responsabilité juridique, se posant ainsi en médiateur de substitution.
2. Le recours aux médias comme médiateurs de substitution
Les médias ouvrent leurs chapelles à tous les déçus de la crise des institutions. Il s'opère alors une transmutation de l'engagement politique, syndical et associatif, doublée d'une redistribution des légitimités. C'est le règne de la démocratie médiatiquement assistée.
Les forums jouent un autre rôle, tout aussi vital pour la société : en favorisant la confrontation des opinions, ils s'offrent comme le théâtre de la violence symbolique, exutoire au conflit ouvert.
II. Quelle légitimité pour la régulation des forums ?
Désireux de se soustraire à toute instance exogène, les forums n'agréent que l'autorégulation, et pour des raisons dictées uniquement par leur propre survie.
1. La réfutation de la raison d'Etat
Les forums rejettent comme suspecte toute raison d'Etat ; ils ne veulent voir planer ni l'ombre tutélaire du régulateur ni celle du juge.
Peut-être faudrait-il analyser opportunément cette posture caractéristique des haut-lieux de libre expression comme une invite à accompagner l'exercice des libertés sans trop les restreindre, au risque de les voir emprunter des chemins hors de portée.
2. Réguler au nom de la démocratie
Revendiquant la démocratie comme leur raison d'être, les forums devront veiller au moins à garantir en leur sein :
l'expression plurielle et équilibrée des opinions ;
l'apprentissage assidu de la tolérance à l'égard des opinions divergentes.
3. Réguler au nom de la confiance
Les médias ne sont pas non plus à l'abri de la crise de confiance qui fait accourir tant de gens à leurs portes. L'altération de la confiance du public peut leur faire perdre leur « audience » et leur clientèle, en même temps qu'elle ruine le droit du public à une information juste. On baptise du nom de « titrologie » cette indifférence romancée des lecteurs enchantés par l'esthétique des unes de journaux mais désenchantés par la vacuité de leur « livraison ».
Kôrô Yamyélé ne réfutera pas la nécessité d'assurer la démocratie et de préserver la confiance au sein des forums. C'est le rôle principal des « chartes éthiques » et des « médiateurs » auprès des sites.
Les médias au pied de la montagne !
L'humanité osera toutes les expéditions à la recherche du dernier îlot de vérité et de justice. Elle a cru retrouver cette cité perdue dans les médias. Il ne reste donc plus aux médias qu'à user de cette posture inespérée de tiers-arbitre pour faciliter l'avènement d'une citoyenneté assumée au service d'institutions fortes, seuls remparts contre le péril extrémiste.
Arnaud OUEDRAOGO Magistrat spécialiste des droits de l'Homme Auteur du Manuel juridique de la vie quotidienne Membre fondateur du Centre pour l'Ethique Judiciaire