La rue, les cités universitaires, l'Eglise catholique et, finalement, le CCRP ont dit que le problème qui mine le Burkina Faso tient en deux mots : « Vie chère » (cf. LDD Burkina Faso 0382/Mardi 17 septembre 2013). Le gouvernement a entendu la rue, les étudiants, les évêques et les « sages » du Conseil consultatif sur les réformes politiques (CCRP). Le conseil des ministres du 11 septembre 2013 a donc pris une série de décisions « relatives au renforcement des mesures sociales, à la création d'emplois et à l'amélioration des conditions de vie des populations pour faire face à la conjoncture ».
L'édito de L'Observateur Paalga (vendredi 13 septembre 2013) évoque un « New Deal de Kosyam » compte tenu de l'ampleur de ce programme dont le coût est estiméà 64,5 milliards de francs CFA. Un « New Deal » qui ne donne pas satisfaction à tout le monde ; à commencer par les syndicats. Elie Kaboréécrit dans L'Economiste du Faso que « interrogés, des responsables syndicaux se disent étonnés de l'attitude du gouvernement qui a préféré prendre des mesures unilatérales alors que les négociations sont aux arrêts ». Il ajoute : « L'annonce unilatérale des nouvelles mesures par le gouvernement […], sans attendre la fin des négociations avec les syndicats, n'est pas de nature à favoriser le climat de dialogue ».
Ce « dialogue avec le gouvernement », c'était justement l'objet de l'émission de la RTB, le mardi 17 septembre 2013. Invité : Beyon Luc Adolphe Tiao, Premier ministre du Burkina Faso. Tiao n'est pas un politique stricto sensu. C'est un journaliste reconverti dans la haute administration publique. Sa carrière a été marquée, notamment, par la présidence du Conseil supérieur de l'information (désormais Conseil supérieur de la communication) et l'ambassade du Burkina Faso à Paris. Il a été rappelé, en urgence, au printemps 2011, à la suite des mutineries qui ont ravagé la capitale et l'ensemble du pays, provoquant un traumatisme durable. Pour remplacer Tertius Zongo.
Tiao avait une dimension « militante » que ne possédait pas Zongo. Il est surtout considéré comme un « communicateur ». Il s'est, depuis sa nomination, employéàêtre, aussi, un « facilitateur ». Il faut dire qu'il a étéà bonne école. Avant de quitter Paris, il s'était engagé dans l'écriture d'un ouvrage sur les « facilitations » menées en Afrique de l'Ouest par Blaise Compaoré. Un travail (que j'ai eu l'occasion de lire à cette époque) dont il avait dû interrompre la rédaction à la suite de l'évolution de la situation en Côte d'Ivoire consécutivement à la crise post-présidentielle puis de sa nomination comme premier ministre. « Facilitateur », il n'a cessé de l'être au cours des deux années passées, parcourant le pays du Nord au Sud et de l'Est à l'Ouest, sur le terrain en permanence, s'efforçant d'instaurer le dialogue avec gentillesse, bonhommie, proximité. Rien d'un « va-t-en guerre » ; pas un laxiste pour autant.
Il l'a dit d'emblée, lors du démarrage de ce « dialogue avec le gouvernement » : le Burkina Faso est « une démocratie qui marche bien » où règne « la liberté d'expression » et où« les critiques » peuvent s'exprimer en toute liberté afin que le gouvernement prenne en compte « les préoccupations des citoyens ». Les 90 minutes prévues initialement vont durer plus de deux heures. Et vont forger l'image d'un premier ministre paisible, compréhensif, attentif mais sérieux. Il évoquera même une « République sérieuse » et ne cessera de répéter que « si nous pouvions faire mieux, nous le ferions », « nous donnons ce que nous pouvons », entendant faire en sorte que les « passions » ne s'exacerbent et que la « haine sociale » n'émerge.
Le principe de base de Tiao, c'est celui de la réalité. Plus journaliste que politique. Il dit les choses telles qu'elles sont. Il y a de plus en plus d'inégalités (ce que le journaliste qui l'interroge caractérise d'abord comme des « disparités ») au sein de la société burkinabè ? Oui, mais il y a « d'autres contraintes » aussi. D'ailleurs, il est contre « l'égalitarisme » peu motivant qu'il faut éviter. Le journaliste propose d'instituer le « délit d'apparence ». Ce serait la porte ouverte aux dénonciations sans fondement. Les délestages pourrissent la vie des Burkinabè ? C'est vrai, mais c'est vrai aussi partout dans la région où« tout le monde déleste » ; ce sont « des problèmes complexes et régionaux ».
Le Burkina Faso est un pays enclavé, sans ressources énergétiques locales, veut-on que le gouvernement pratique « la vérité des prix de l'énergie » afin que la Sonabel puisse faire face à des investissements d'envergure ? L'insécurité se développe ? Oui, mais c'est le résultat de la croissance économique : plus d'argent en circulation, donc plus de tentations pour les voyous… Conclusion : « L'amélioration des conditions de vie ne peut pas se faire du jour au lendemain » ; il ajoutera que les Burkinabè doivent être « convaincus que nos ressources financières sont très modestes et qu'il leur faut être patients ».
Bien sûr, la grande question a été celle du Sénat. Il rappelle que c'est une « innovation voulue par le président du Faso » en un temps où il souhaitait élargir le spectre des acteurs politiques au-delà des partis. Or, dit Tiao, « une minorité politique conteste le projet ». Il faut donc plus de « réflexion », plus « d'argumentation », plus de « concertation ». Mais, dit-il, « on ne va pas ébranler le pays pour mettre en place le Sénat ». Le président du Faso décidera donc, à l'issue du dialogue et des discussions, ce qu'il devra en être. La prise de conscience est donc totale que cette affaire de Sénat est une des clés de la paix sociale ; sauf à la désamorcer et c'était, sans doute, la raison d'être des décisions du conseil des ministres du 11 septembre 2013, même si Tiao conteste que la question de la vie chère soit liée à celle du Sénat. L'objectif est de dissocier les deux problèmes : « Sénat » et « Vie chère ». En désamorçant le second, le gouvernement entend démobiliser les « anti-Sénat »
Un « communicant consensuel »*, c'est ainsi que l'on pourrait définir la prestation télévisée de Tiao. Aucune invective, aucune mise en cause de l'opposition, des syndicats, des étudiants, des jeunes… de tous ceux qui perturbent aujourd'hui le sommeil des gouvernants. La « passion » politique, ce n'est pas son truc ; « la haine sociale » encore moins. Les maux actuels que connaît le Burkina Faso résulteraient, finalement, de l'évolution de la société burkinabè. Pas faux. Mais c'est là, justement, le problème : comment gérer, politiquement, économiquement et, surtout, socialement, ce passage d'un monde à un autre. Thomas Sankara, en son temps, avait érigé la pauvreté du pays en principe fondateur de sa « révolution »**.
Blaise Compaoré a métamorphosé ce pays quand la plupart des autres, alentours, pourtant mieux lotis, succombaient à des crises majeures. Tiao évoque, aujourd'hui encore, une émergence au-delà de 2015 mais une croissance à deux chiffres dès cette année-là (elle serait de l'ordre de 9 % cette année). Il évoque aussi la SCADD, « très bien pensée » (c'est une initiative de son prédécesseur), qui va permettre au Burkina Faso « d'aller plus vite » dès lors que ce programme de développement « n'a pas de problème de financement ». Il a évoqué aussi les « grands chantiers », les « pôles de croissance », affirmé son « optimisme » quant aux perspectives de « l'après-2015 », beaucoup parlé de « réflexion » et employé fréquemment la formule « nous étudions ». Reste à savoir s'il a convaincu les Burkinabè que les actions menées étaient à même d'améliorer leur présent et de sauvegarder leur avenir.
*D'autant plus consensuel que les journalistes de la RTB ne mettent pas la pression sur leur interlocuteur et se font, essentiellement, le relais du questionnement des Burkinabè interrogés à l'occasion de cette émission.
** Pas question pour Beyon Luc Adolphe Tiao de s'adonner à l'austérité des années Sankara. Au spectateur qui posait la question d'en finir avec les célébrations coûteuses des fêtes nationales, il a rétorqué (seule « boutade » de la soirée) que ce n'est pas parce que l'on fermerait les boites de nuit à Ouaga que les Burkinabè, pour autant, dépenseraient leur argent dans la construction de logements.
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique