Le président de la Coalition contre la vie chère (CCVC), Tolé Sagnon, par ailleurs secrétaire général de la Confédération générale du travail du Burkina (CGTB), a jeté un pavé dans l'opinion le 20 juillet dernier, en transformant le meeting contre la vie chère en une tribune anti changement « néolibéral ». Les déclarations de Tolé reposent la question des alliances sociopolitiques au Burkina Faso. A l'exception du 3 janvier 1966 et de la lutte contre l'instauration d'un parti unique en 1975, l'histoire du pays est jalonnée par des rendez-vous manqués, des coalitions avortées entre les forces dites du changement. En se positionnant aujourd'hui contre « le changement pour le changement », Tolé et la CCVC apparaissent comme des forces du statu quo.
Ceux qui rêvaient d'une alliance entre l'opposition et les organisations de la société civile regroupées au sein de la Coalition contre la vie chère (CCVC) doivent déchanter. Les propos du président de la CCVC sont tombés comme un couperet. L'entente n'est pas pour bientôt. Tous ceux qui y rêvent doivent encore attendre. Tolé Sagnon a été catégorique. La CCVC n'est pas prête à une telle alliance. Dans son discours, il y a trois raisons apparentes et une qui relève du non dit. La première raison, c'est que « le processus actuel de mise en place du sénat, les velléités de révision de l'article 37, malgré leur actualité et leur importance, ne doivent pas figer toute l'attention du peuple burkinabè ! La plus grande vigilance doit être observée». Pour Tolé Sagnon, on ne devrait pas réduire les préoccupations des Burkinabèà ces deux points. D'ailleurs, la CCVC ne s'est pas constituée autour de ces deux points, mais contre la vie chère.
Cette lutte est d'actualité depuis des années et le débat sur des sujets politiques ne devrait pas occulter la nécessité de la poursuivre. Sur ce point, l'opposition n'est pas totalement en désaccord avec les responsables de la CCVC. La lutte contre la vie chère figurait d'ailleurs dans son premier appel à la manifestation du 29 juin. Pour la marche du 28 juillet, elle l'a enrobé dans «la lutte contre la politique du gouvernement» pour faire court. Les responsables de l'opposition sont conscients qu'ils ont intérêt à ne pas enfermer leur lutte uniquement sur des sujets politiques. Ils doivent aussi s'emparer des préoccupations sociales des Burkinabè, celles qui touchent directement à leur vie quotidienne. Très longtemps, elle a laissé le terrain aux seuls syndicats comme si les conditions de vie et de travail des Burkinabè ne figuraient pas dans leur agenda politique. Elle a ainsi laissé passer de nombreux scandales touchant à l'approvisionnement de certaines denrées de première nécessité. Aujourd'hui, l'opposition semble revenir aux fondamentaux de la politique, à savoir prendre en charge les préoccupations pressantes des citoyens, les agréger et les porter sur la place publique soit sous forme de dénonciations des politiques publiques soit par des propositions concrètes en termes de contre projets de gouvernance. Les syndicats devraient alors se réjouir d'avoir un allié de taille pour porter haut leurs revendications.
Une pression supplémentaire sur le gouvernement qui aurait intérêt à les écouter pour ne pas donner du pain bénit à l'opposition. Mais les syndicats de la CCVC ne semblent pas apprécier cette nouvelle donne. Ils rejettent l'offre de l'opposition sur la base de la couleur idéologique réelle ou supposée de certains de ses leaders. C'est la deuxième raison évoquée par Tolé Sagnon pour rejeter toute alliance avec l'opposition en ces termes : «Nous devons développer notre esprit critique vis-à- vis des différentes forces politiques qui tentent aujourd'hui de se présenter comme des alternatives au pouvoir actuel mais qui, pour la plupart, partagent les fondamentaux de la politique néolibérale du régime en place ». Le propos s'adresse probablement au nouveau chef de file de l'opposition politique, Zéphirin Diabré, libéral bon teint et fier de le proclamer aujourd'hui après quelques temps d'hésitation ou de scrupules. On se rappelle qu'à la création de son parti en 2010, il tentait de faire croire que ce dernier était sans coloration ou attache idéologique précise.
La présence en son sein de Louis Armand Ouali, un ancien militant du Parti africain de l'indépendance (PAI), brouillait effectivement les cartes. Aujourd'hui, c'est clair pour tous que l'UPC ou du moins son premier responsable est de droite. Ce n'est pas une surprise pour bon nombre d'observateurs de la vie politique au regard du parcours politique et professionnel de son leader. Seuls les responsables de la CCVC semblent être surpris. L'argument serait recevable si au sein même de la Coalition (CCVC), il y avait une convergence sur ce plan. Or, ce n'est pas le cas. Sur le plan idéologique, qu'est-ce qui rapproche la CGTB de la CNTB ou de l'USTB ? La première est d'orientation marxiste léniniste tandis que les autres ont une aversion pour ce courant idéologique et politique. Ce n'est pas pour rien qu'ils sont taxés d'être des « syndicats jaunes ». Il y a d'autres syndicats dits autonomes qui n'ont pas de filiation idéologique précise, sans oublier les organisations de défense des droits humains. Et puis, le procès du néo-libéralisme ne peut pas être fait à l'ensemble des partis de l'opposition. Tout comme la CCVC, les membres qui composent l'opposition sont pluriels sur le plan idéologique et politique. On trouve des socialistes, des sankaristes, des socio-démocrates, des centristes et des néo-libéraux. Tout comme les membres de la CCVC, les partis politiques de l'opposition peuvent partager une plate-forme commune qui transcende leurs appartenances idéologiques et politiques. Ce n'est pas une spécificité burkinabè.
La plupart des pays africains qui ont connu des alternances sont passés par des coalitions de partis d'obédiences diverses, parfois même avec la contribution de la société civile. En Afrique de l'Ouest, l'exemple le plus illustratif, c'est le Sénégal qui, par deux fois, a expérimenté l'alternance grâce à l'union de divers partis et des organisations de la société civile représentatives. La troisième raison qui justifie la colère de Tolé Sagnon contre l'opposition, c'est leur supposée réticence, voire même leur refus contre les candidatures indépendantes. «Vous savez qu'il y a des questions en débat, que ce soit au sein même de l'opposition, ou entre l'opposition et les organisations de la vie chère ; on ne s'entend pas par exemple sur la question des candidatures indépendantes », déclare le président de la CCVC. Le chef de file de l'opposition a répondu à cette critique en faisant observer que la question ne leur a jamais été soumise par Tolé Sagnon et ses camarades. Là aussi, les partis d'opposition peuvent avoir des positions divergentes. La preuve, c'est le président de le Faso Autrement, le néo-libéral Ablassé Ouédraogo, qui parraine la pétition du Mouvement burkinabè des droits de l'homme et des peuples (MBDHP) sur les candidatures indépendantes. Sur cette question, les libéraux sont d'ailleurs plus enclins à les porter que des partis se réclamant de gauche qui ont une conception plus collectiviste de l'action politique. La raison non avouée pour se démarquer de la lutte de l'opposition, c'est la filiation politique « souterraine » de Tolé Sagnon et de certains membres influents de la CCVC. Ils appartiennent à un courant syndical (révolutionnaire de lutte de classes) accuséà tort ou à raison d'avoir des accointances avec le Parti communiste révolutionnaire voltaïque (PCRV). Lui comme d'autres responsables de la Coalition n'ont jamais caché leur sympathie pour les «analyses pertinentes, les lectures éclairées» de ce parti. Voici comment se défendait Halidou Ouédraogo en 2007 dans un journal de la place sur ses supposées accointances avec ce parti : «Le PCRV est un parti clandestin, mais connu de tous les Burkinabè. A ce titre, je connais le PCRV, à travers ses déclarations, ses prises de position que j'apprécie énormément parce que ce sont des prises de position responsables. Je me dis par ailleurs que ceux qui élaborent les déclarations du PCRV sont des gens responsables. Cela dit, au sein du mouvement étudiant, nous avons contribuéà des discussions fort nourries sur la manière de gérer notre pays, l'Afrique, voire le monde. Vous savez, je suis très occupé pour en même temps diriger le PCRV.» A la question de savoir s'il n'est même pas simple militant du parti, il répond : «Non, je ne peux pas vous répondre par l'affirmative. » Une autre question de relance : Donc vous démentez être du PCRV ? Réponse : «Je ne vous répondrai pas par la négative non plus. Je vous ai dit seulement que j'admire le PCRV et les Burkinabè ont fini par me cataloguer dans ce courant d'idées. Et je ne le regrette pas.» Ils ne disent jamais avoir des liens organiques avec ce parti, mais dans le landernau politique burkinabè, leur filiation politique est un secret de polichinelle. Tolé Sagnon ne peut donc pas être content de voir l'opposition officielle, « les petits bourgeois réformistes », prendre la direction de la lutte pour le changement démocratique. Depuis longtemps, cette opposition était à la remorque du mouvement social contrôlé par Sagnon et ses camarades. La donne est en train de changer et la lutte sera âpre. Pour la première fois depuis 1992, c'est l'opposition qui donne le tempo de la lutte. C'est elle qui a l'initiative et les autres se contentent de réagir. C'est dire qu'elle a une longueur d'avance sur les autres forces politiques et sociales. En tenant un discours de démarcation, Tolé Sagnon exprime une crainte et une frustration. En le faisant publiquement à la Place de la Nation, il s'attire les foudres de nombreux jeunes qui peuvent l'assimiler à un pion du régime. C'est une grave erreur de communication qui sera difficile à rattraper. Déjà, dans une grande partie de l'opinion burkinabè, il est traité de tous les noms d'oiseau. Son nouveau statut de chef coutumier dans son village renforce les suspicions sur lui. Certains de ses invités d'honneur lors de son investiture sont réputés être des conseillers occultes du chef de l'Etat. Certains ont vite fait de le considérer également comme un pion du système, le chef de l'Etat et lui ayant fréquenté ensemble au début des années 70 au Cours normal, l'actuel lycée Bogodogo. Depuis cette période, ils n'auraient jamais cessé de se fréquenter et de s'apprécier.
Mais fondamentalement, sa position actuelle est celle d'un courant politique qui travaille aussi pour le changement à sa manière et à ses conditions. Pour ceux qui suivent le cheminement et les discours du mouvement depuis 1978, ce n'est pas surprenant. Ils ne privilégient pas les voies officielles pour conquérir le pouvoir car pour eux, les votes n'épuisent pas le répertoire des actions politiques. L'insurrection ou le soulèvement constituent leur préférence pour faire le changement. Certes, ces dernières années, on constate un fléchissement de cette position à travers la revendication des candidatures indépendantes aux élections locales et législatives. Aujourd'hui, on se demande pourquoi ils ne présenterait pas un candidat à la présidentielle de 2015 puisque là, on n'a pas besoin d'être adoubé par un parti politique officiel. Cela aurait l'avantage de clarifier davantage le jeu politique et d'élargir l'offre politique pour que le peuple ne soit pas réduit au choix des programmes néo-libéraux. Si on n'est pas capable de le faire, il ne faudrait pas s'offusquer de la couleur du changement à venir.
Abdoulaye Ly
MUTATIONS N° 34 du 1er août 2013. Bimensuel burkinabé paraissant le 1er et le 15 du mois (contact :mutations.bf@gmail.com- site web : www.mutationsbf.net)