En Grande-Bretagne, où l'on sait ce que le mot « politique » veut dire, on aime à répéter : « Never go with the crowd ». Effectivement, il ne faut jamais marcher avec la foule. Le Burkina Faso a oublié cette règle fondamentale. Dans son entretien avec L'Observateur Paalga, Zéphirin Diabré en est à des années lumières : « Quand nous sentons que notre peuple est mécontent d'une décision du gouvernement, nous défendons ses intérêts et s'il le souhaite, nous lui offrons un cadre pour qu'il s'exprime ». Il ajoute : « Nous nous sommes des opposants et notre rôle, c'est de porter l'estocade, de manière démocratique, au gouvernement en place ».
C'est ce que Diabré appelle être « en service commandé pour notre peuple ». Reste à définir ce qu'est le peuple ; et pourquoi il serait celui de l'opposition (puisque Diabré ne cesse d'évoquer « notre peuple ») et pas celui du pouvoir. Et là encore, les journalistes de L'Obs posent la bonne question : « Sénat, vie chère, article 37, cela assurément ne peut pas constituer un programme alternatif, convenons-en. Qu'est-ce que vous proposez concrètement après cela ? ». Mais Diabré l'a dit, son rôle « c'est de porter l'estocade » ; il a beau ajouter « de manière démocratique », il n'en demeure pas moins que jamais il ne pense que l'alternance n'a de sens que si elle oppose un programme à un autre.
A-t-il un programme ? Non. Il dit d'abord : « Je souhaite incarner une opposition qui brille par la qualité de son programme alternatif », mais ce n'est qu'une promesse. Il ajoute d'ailleurs, qu'au niveau de l'UPC, « la réflexion […] est en cours ». Assez étonnant de présider un parti qui est le premier parti de l'opposition et dispose d'une vingtaine de députés à l'Assemblée nationale et d'en être encore à réfléchir à ce que sera son programme. Il est vrai qu'il veut « un programme alternatif qui soit consensuel » dès lors que « l'opposition [est] plurielle ». « Le moment venu de l'alternance, nous serons amenés à gouverner sur [sic] un programme alternatif qui soit consensuel. C'est ça, l'idée du programme minimum dont je vous ai parlé plus haut. Ce programme empruntera à chacun de nos programmes respectifs ». En quelque sorte un programme patchwork. De bric et de broc ?
Certes, nous ne sommes plus au temps des idéologies dominantes (quoi que ce ne soit pas ce qui arrive de mieux à l'humanité qui ne sait plus où elle va ni comment elle veut y aller), mais tous ceux qui ont une réelle culture politique savent ce qu'il faut penser des « programmes minimums ». Diabré veut rassembler dans la même démarche politique « des libéraux, des socialistes, des socio-démocrates, des Sankaristes, des centristes, des communistes, etc. » (il reprend là la même formulation que celle utilisée pour caractériser la démarche « unitaire » de Macky Sall au Sénégal).
Au sujet de ce « programme minimal », Diabré précise : « Philippe Ouédraogo du PDS/Metba et Fidèle Kientéga de l'UNIR/PS ont la charge de faire en sorte que les groupes de travail se mettent rapidement en place pour [le] rédiger ». Diabré entend-il accéder au pouvoir en marchant sur la tête de Ouédraogo et de Kientéga (cf. LDD Burkina Faso 0371/Vendredi 5 juillet 2013) ? Le marchepieds est étonnant : Ouédraogo et Kientéga sont des figures de la « Révolution », l'un et l'autre ancrés à gauche. Le PDS/Metba a été créé en mars 2012 par la fusion de plusieurs partis de gauche dont l'historique PAI (de Joseph Ki Zerbo). L'UNIR/PS, crééégalement par fusion des groupuscules sankaristes en mars 2009, se veut « l'héritier et le continuateur de l'œuvre du président Thomas Sankara ».
Qui est l'otage de qui ? Le Burkina Faso, qui s'est illustré dans le combat politique par des partis de « militants », semble s'adonner désormais, avec délectation, au « clientélisme » politique. Que peut-il y avoir de commune entre l'UNIR/PS qui vénère le « Che » et Lumumba et Diabré qui a fait carrière au sein du PNUD, institution des Nations unies, et AREVA, leader mondial de l'industrie nucléaire ? Diabré ne maîtrise déjà pas une manifestation de rue ; comment peut-il ambitionner de gérer une coalition politique aussi hétérogène ? « Ce n'est pas facile quand on a affaire à un groupe de manifestants qui sont d'origines diverses », a-t-il déclaréà L'Obs au sujet de la manifestation du 29 juin. Il ajoute : « Quand on a affaire à toute la société dans sa diversité, ce n'est pas toujours facile de gérer les choses. Personnellement, j'ai eu de la peine et des difficultés, tout au long du trajet, à faire en sorte que les choses ne dérapent pas ».
Il est vrai que Diabré n'est pas un habitué des manifs de rue. Le 29 juin, il s'agissait de remettre une missive au directeur de cabinet du Premier ministre. Il faut quasiment une page à Diabré pour expliquer pourquoi, alors qu'il avait « instruit » son « directeur de cabinet d'appeler le directeur de cabinet du Premier ministre pour lui dire que nous étions en route », il n'est pas parvenu à remettre cette lettre alors qu'on l'invitait à s'extraire, pour l'occasion, de la manifestation : « Si moi, je franchissais la barrière, vu la pression qu'il y avait derrière, les gens allaient me suivre ; parce qu'ils vont se dire que comme le chef de file de l'opposition avance, il faut qu'ils avancent avec lui, alors que nous sommes en face d'une zone rouge, ça pose quand même un problème […] Soit elle est rouge, soit elle ne l'est pas. Qui assurera ma sécurité là-bas Et, qu'est-ce que je réponds si on me dit que j'ai enfreint la loi ? C'est pourquoi je lui ai dit que je ne pouvais pas franchir la barrière ».
Diabré, malgré sa connexion avec les « Sankaristes », n'a pas dû connaître Ouaga et le Burkina Faso au temps de la « Révolution » ni même du « Front populaire » quand le pouvoir siégeait au Conseil de l'Entente sous la protection de véhicules blindés… Ce qui ne l'empêche pas de rêver de manifestations à la « brésilienne » !
L'histoire du Burkina Faso est celle d'une permanence du combat politique. C'est un des rares pays d'Afrique francophone où la grève générale a eu raison d'un chef de l'Etat qui n'avait pas su répondre aux attentes de la population (Maurice Yaméogo) et où une révolution a été fondatrice d'une nouvelle histoire. C'est aussi un des rares pays qui règle lui-même ses difficultés politiques et sociales sans jamais appeler au secours la « communauté internationale » ou les « médiations africaines ». Si la classe politique est, généralement, combattive, la population ne lui cède en rien et sait jusqu'où elle peut aller. Diabré, dans son entretien avec L'Obs, a dressé l'état des lieux du Burkina Faso aujourd'hui : « Les gens ne veulent pas du Sénat, les gens ne veulent pas de la révision de l'article 37, les gens ne veulent pas de la vie chère, les gens ne veulent pas de la corruption, les gens ne veulent pas de l'accaparement de l'économie par un clan familial, les gens ne veulent pas aller mourir dans les hôpitaux où il sont censés être soignés, les gens ne veulent pas que leurs enfants étudient sous des paillotes, etc. ». Reste à savoir ce que les « gens veulent » ; et seule la présidentielle 2015 doit pouvoir le dire.
Le Burkina Faso a écrit au début de l'année 2011, avec les « mutineries », une page dramatique de son histoire. Qui a laissé des traces indélébiles dans la mémoire des Burkinabè. Les uns diront qu'il faut, justement, un régime fort, homogène et expérimenté ; les autres qu'il faut, désormais, passer à autre chose. Zéphirin Diabré propose l'union consensuelle des oppositions. Le politiste Maurice Duverger, dans son livre sur « Les Partis politiques », a écrit que « l'action est choix et la politique est action ». Diabré a fait son choix. Dans un scénario à la « sénégalaise ». Sauf qu'il se heurte à la réalité qui est celle, aujourd'hui et aujourd'hui seulement, du Burkina Faso. Ne pouvant créer un front « anti-Blaise », il est contraint à mobiliser l'opposition sur ce qui n'est encore qu'un fantasme : la mise en place du Sénat viserait à tirer un trait sur l'article 37. Dans son entretien à L'Obs, il appelle le président à Faso à dire « publiquement qu'il ne touchera pas à l'article 37 et le débat est clos ». Ah bon ! Et qu'adviendra-t-il alors des vraies revendications « sociales » de la population ?
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique
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