Président du parti politique Le Faso Autrement et député de l'opposition à l'Assemblée nationale, Ablassé Ouédraogo n'est plus à présenter aux populations burkinabè. Dans des déclarations précédentes, il s'était prononcé sur la situation politique au Burkina Faso. Il s'agissait notamment du déroulement des élections couplées Législatives-Municipales de décembre 2012. Dans cette réflexion, il se penche sur la situation socio-politique qui prévaut actuellement au Burkina Faso. Après analyse, il arrive à la conclusion que le pays n'est plus gouverné. Lisez plutôt.
« Le 30 juin 2012, nous disions dans une Conférence de Presse que, les ingrédients de la crise au Mali étaient réunis au Burkina Faso et qu'une crise politico-sociale était possible à tout moment dans notre pays.
Le 02 juillet 2012, dans un séminaire sur le Sahel organisé par l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI), M. Laurent BIGOT, alors Sous-Directeur Afrique de l'Ouest au Ministère français des Affaires étrangères, disait exactement la même chose.
Ce qui lui a valu le courroux du gouvernement burkinabè. Celui-ci a rué dans les brancards pour obtenir finalement la tête de M. BIGOT, qui a été récemment relevé de ses fonctions au Quai d'Orsay. Il aurait fallu faire « ami-ami » avec lui et user de diplomatie pour en savoir davantage sur la réflexion de ce haut responsable français, expert très avisé de la situation de notre région.
Malheureusement, comme le dit l'adage « il est difficile de se chatouiller pour rigoler » et aujourd'hui la situation que vit le Burkina Faso est loin d'être rassurante et tranquille comme veut le faire croire le gouvernement. D'ailleurs un certain nombre de réalités cruelles, qui sautent aux yeux, sont préoccupantes au point qu'il n'est pas superflu pour tout citoyen averti de s'interroger sur l'état de la gouvernance actuelle de notre pays.
Des illustrations aussi nombreuses que graves confirment que le Burkina Faso n'est pas gouverné comme il faut, c'est-à-dire avec responsabilité et autorité. En effet, au nombre de ces illustrations, mentionnons :
• L'incivisme est à son paroxysme : Force est de reconnaître que chaque type de gouvernance façonne son modèle de société et son type d'individu. C'est en cela qu'après un quart de siècle, la quatrième république a engendré dans notre pays, des citoyens peu civiques.
Ce qui est arrivé au Premier Ministre, le 18 mars 2013 au cours de sa visite à l'Université de Ouagadougou, est la conséquence de cet état de fait. De mémoire de burkinabè, c'est la toute première fois qu'une autorité de ce rang est éconduite du campus avec des jets de pierres. Toute chose qui, égale par ailleurs, est la signification d'un manque profond de respect et de confiance à l'autorité, donc au gouvernement.
La vindicte populaire a pignon sur rue et la propension à se faire justice est devenue la règle. Ce qui dénote une crise de confiance entre gouvernants et gouvernés et l'on peut alors comprendre la défiance à l'autorité, d'où la crise de gouvernance que nous vivons.
• La résolution des crises socio-professionnelles : Dans la gestion de la récente crise entre le gouvernement et le Syndicat des travailleurs de la santé humaine et animale (SYNTSHA), la reculade du Gouvernement est une traduction de sa gouvernance approximative, utilisant les faux-fuyants comme méthode d'approche de résolution des conflits.
Dans cette logique, le 4 avril 2013, devant la représentation nationale réunie au grand complet pour écouter le point sur la situation de la Nation durant l'année 2012, le Premier Ministre annonçait d'un ton grave que « pour l'heure le gouvernement ne reculera pas » devant les grévistes du SYNTSHA.
C'était sans compter avec la détermination des travailleurs de la santé humaine et animale qui, au cours des échanges des 16 et 17 avril 2013 entre l'Unité d'action syndicale et le gouvernement, ont fait reculer le gouvernement avec le retrait de la sanction prise antérieurement contre le sieur KABORE Nonguezanga.
Ce n'est pourtant qu'une répétition de l'histoire de notre pays ; à ce sujet, le Premier Ministre ferait bien de méditer sur le sort de l'ancien Président Maurice YAMEOGO, qui, dans une situation similaire en décembre 1965, avait lui aussi refusé de « reculer » mais a dû par la force populaire quitter le pouvoir avec sa lance qu'il disait avoir plantée et qu'il refusait d'enlever.
Ce qui confirme bien qu'en politique, il faut toujours garder une porte ouverte au compromis. Donc, avec ce qui est en cours au niveau de l'éducation et qui arrivera dans les autres secteurs éventuellement, gageons que le gouvernement saura, toute raison gardée, faire autrement que de par le passé.
Et si à ces valses hésitations du gouvernement qui communique abondamment, l'on ajoute toutes les promesses non tenues pour apporter des solutions concrètes aux dossiers brulants de corruption empilés dans ses tiroirs, pour combattre l'impunité et instaurer une justice équitable pour tous, cela ne saurait être qu'un euphémisme que de dire que le Burkina Faso est à l'ère de la gouvernance à tâtons.
Ce type de gouvernance, qui se manifeste par un cumul indécent de fonctions au plus haut niveau et une concentration des pouvoirs politiques et économiques dans les mains de groupes claniques et familiaux dont l'appétit galopant est de s'approprier tout, entraînera infailliblement notre pays dans les précipices.
• La mise en place du Sénat : un vide juridique constitutionnel dangereux. L'article 78 de la Constitution dans sa dernière version du 11 juin 2012 prévoit la mise en place d'une deuxième Chambre du Parlement, le Sénat, qui n'est pas encore à ce jour installé. Et malheureusement, le législateur n'a pas prévu de système transitoire pour permettre le fonctionnement normal de la République.
De ce fait, l'Assemblée Nationale fonctionne en toute illégalité, au vu et au su de tout le monde. Elle vote des lois, qui normalement ne sont pas valables, dans la mesure où ces lois doivent passer au Sénat avant d'être validées.
Mais le pire, c'est la situation à laquelle le pays doit faire face en cas de démission brusque ou d'une quelconque incapacité du Président du Faso à assumer ses fonctions de Chef de l'Etat, car aucun remplacement constitutionnel n'est possible. Et ainsi, le Burkina Faso est assis entre deux chaises au regard de ce vide juridique. Il n'y a pas de gouvernance républicaine possible.
Ce qui précède nous interpelle tous sur le fait que nous ne sommes pas gouvernés. Par conséquent, il devient un devoir impérieux pour nous tous, fils et filles du Burkina Faso, d'avoir un sursaut national pour arrêter la dynamique dans laquelle notre pays est engagé avec une gouvernance indécise et fébrile, voire une non gouvernance et un incivisme galopant servi par l'impunité et le manque d'autorité de l'Etat.
Mais à problème global, solution globale : apporter des solutions au cas par cas aux préoccupations des populations continuera d'exacerber les frustrations et les rancœurs des composantes de notre société. Ce qui va accélérer inévitablement le processus de déliquescence en cours de la société. Le sursaut national devient incontournable et le changement possible.
Et comme le disent nos ancêtres « Noug Pa lout Wountog Yé» c'est-à-dire que « la main ne cache pas le soleil ». Et la réalité est cruelle : Le Burkina Faso n'est pas gouverné. »
Dr Ablassé OUEDRAOGO
Président du Parti Le FASO AUTREMENT
Députéà l'Assemblée Nationale