Un même produit pharmaceutique vendu à des prix différents, dans une même ville, au Burkina Faso. Des écarts qui peuvent varier à des milliers de francs CFA, d'une officine à l'autre, surtout dans les deux grandes villes du pays que sont Ouagadougou et Bobo-Dioulasso. Des citoyens crient à l'arnaque.
Idrissa Nabi est un Ouagalais âgé de 27 ans. Il est fébrile. Décidé de savoir de quoi il souffre, il se fait consulter dans une clinique située à Wayalguin, au secteur n°41 de Ouagadougou (ex-secteur n°27). L'examen parasitologique du sang, communément appelé goutte épaisse, est positif : 120 trophozoïtes de plasmodium falciparum/ul (agent causal du paludisme) sont repérés. Ordonnance en main, il part à la recherche d'un antipaludéen, notamment une spécialité comme Artefan. Un tour dans une pharmacie, le paludéen ressort sans le produit. Son porte-monnaie est moins garni. La spécialité lui a été proposée à 3 400 FCFA. Sur son vélo, de nouveaux coups de pédale l'amènent devant une autre officine, située à un jet de pierre de la première. La vendeuse lui propose le même remède à 4000 FCFA. Le malade finit par se rabattre sur un médicament générique : l'artemeter-lumefantrine. « Les spécialités sont chères », s'exclame-t-il. Nonobstant la cherté relevée par le jeune homme, il est bon de souligner qu'il y a un écart de 600 FCFA sur le prix de l'Artefan entre les deux pharmacies. Est-ce normal ? Pourquoi autant de différence de prix sur la même spécialité d'une pharmacie à l'autre ? Les officines fonctionnent-elles comme des boutiques où souvent les prix varient en fonction des « humeurs » du propriétaire ? Des questions qui intriguent le consommateur. Pour le malade Nabi, les pharmaciens travaillent « comme des commerçants ». « La pharmacie n'est plus conçue comme un endroit où les gens vont chercher la solution à leur maladie, mais un moyen pour les pharmaciens de s'enrichir sur le dos des patients. Ils ne font que spéculer sur le prix des médicaments », affirme-t-il, tout remonté. Les pharmaciens, à travers leur Ordre, ne l'entendent pas de cette oreille. Dr Laopan Jean Paré, président de l'Ordre affirme que la raison d'être du pharmacien est de conseiller le patient. C'est d'ailleurs le fondement du « Serment de Galien », qu'il prête avant l'exercice de son métier. En outre, les officines ne sauraient fonctionner à l'image des boutiques de marchandises diverses. Parce que le calcul des prix suit un schéma. « Il y a le Prix grossiste hors taxe (PGHT). Le grossiste donne son prix après avoir multiplié avec son coefficient multiplicateur, appelé prix cession. Le pharmacien va prendre le produit chez le grossiste à ce prix. Il applique aussi son coefficient multiplicateur qui est de 1.32. Mais en réalité, le pharmacien ne fixe pas les prix lui-même. Avant que le grossiste n'envoie le médicament en pharmacie, il a fait déjà les calculs et fixé le prix public. Les pharmaciens ne font que les appliquer », explique le président de l'Ordre. Les grossistes sont-ils conscients que les prix qu'ils fixent changent, à tout vent, d'une pharmacie à l'autre ? Sont-ils les maîtres d'œuvre de ces changements ? Des questions parmi tant d'autres qui n'ont pas eu de réponses chez les grossistes, malgré plus de trois mois d'insistance de notre part auprès de quelques-uns d'entre eux. Que cherchent-ils à cacher aux patients ? Pourquoi ce silence radio ? Qu'à cela ne tienne, un constat sur le terrain montre que les patients sont mécontents. Muni de plusieurs ordonnances, avec les mêmes prescriptions médicales, nous faisons la ronde de quelques « dépôts » dans les deux grands pôles de consommation du Burkina Faso : Ouagadougou et Bobo-Dioulasso.
La palme d'or à Bobo-Dioulasso
Après avoir visité cinq pharmacies sur la quarantaine que compte la capitale économique du Burkina, le constat est amer. Le prix de la boîte du Tahor 20 milligrammes comprimés, un antihypertenseur, va de 18 894 F CFA à 29 295 F CFA. Soit une différence de 10 406 entre le coût le moins élevé (18 894 F CFA) et le plus cher (29 300 F CFA). A Ouagadougou, dans dix officines sur les 119, ce médicament est vendu à 29 295 F CFA ou 29 300 F CFA. Soit une différence de 5 F CFA. Pourtant, le Tahor est enregistré au ministère de la Santéà 20 683 F CFA. Cet exemple n'est que la face visible de l'iceberg. Sinon, les cas de disparité sont légion. Au regard des prix cités plus haut, il ressort que les dissemblances à Bobo-Dioulasso sont plus frappantes. Cette situation n'est pas nouvelle pour le Conseil régional de l'Ordre des pharmaciens de la cité de Sya. Ses responsables ont même tapé du poing sur la table en 2011 dans l'intention de ramener les brebis galeuses dans les rangs, selon le président régional de l'Ordre, Dr. Arouna Sanou. « Nous avons appris que des officines pratiquaient des prix différents sur le même produit. Nous avons alors attiré l'attention des uns et des autres au respect des prix fixés par les grossistes. Certains commandaient des médicaments avec la CAMEG, mais appliquaient les prix donnés par les privés. La différence est grande parce que le privé a des charges », affirme Dr. Sanou. Toutefois, selon un pharmacien de Bobo, Marcel Ki, des commandes spéciales de certains produits, suite à un besoin urgent ou l'absence de ceux-ci, peuvent contribuer à gonfler les coûts. Ajoutéà cela, de l'avis de M. Ki, des officines sont obligées de vendre à l'ancien prix même si entre-temps, le coût chute. « J'avais plus de mille Artefan sur la base de l'ancien prix à 3 980 F CFA. Ils sont venus donner un nouveau prix de 3330 F CFA. Voulez-vous que je diminue les prix ? Voulez-vous que je vende sans intérêt ? Je continue de vendre à l'ancien prix. Advienne que pourra, jusqu'à ce que mon ancien stock finisse », a-t-il soutenu. Le délégué médical, Moussa Bancé, balaie du revers de la main cet argumentaire. « Dire que c'est l'ancien stock qui est vendu est un faux problème. Pour la simple raison qu'il n'y a plus de gros stock. Les grossistes sont là pour vendre les produits pratiquement au jour le jour. Ils ne peuvent pas nous convaincre avec cet argument », rejette-t-il. Du côté de la direction de la réglementation pharmaceutique, des contrôles réguliers sont effectués, mais aucune officine n'a été prise dans les mailles du filet. Cette confirmation est du premier responsable de cette direction, Pr Rasmané Semdé. Néanmoins, pour lui, ce ne sont que de légères différences. « Sur un produit qui coûte 5000 F CFA ou 10000 F CFA, la différence ne dépasse pas souvent 100 F CFA. C'est parce que les pharmacies ne sont pas localisées dans les mêmes lieux et elles ont des circuits d'approvisionnement différents », justifie le contrôleur.
Le manque des spécialités sur le marché
Sur l'ordonnance médicale, en plus du Tahor 20 milligrammes comprimés, nous avions besoin du Tenordate gélules une boîte, du Préviscan 20 milligrammes une boîte, du Coversyl 10 milligrammes comprimés une boîte, d'une autre de Cardensil 10 milligrammes et du Célébrex comprimés une boîte. C'est pour un traitement de maladies cardio-vasculaires. Une autre difficulté va se dresser. Il s'agit de la non-disponibilité de ces produits. De Ouagadougou à Bobo-Dioulasso, aucune pharmacie n'a pu honorer l'ordonnance dans son intégralité. Théophile Koudogbo, professeur de français, est un habitué des situations de manque, lui qui souffre d'une maladie cardio-vasculaire. « En plus d'être coûteux, nous avons des problèmes de disponibilité des produits pharmaceutiques », déplore le malade. Il n'est pas le seul à subir ce manque de spécialités. A en croire Alphonsine Dipama, une cliente et mère de famille, le traitement des enfants nécessite une attention particulière. Par conséquent, elle ne lésine pas sur les moyens quand il s'agit de la santé de son petit « bout de bois ». « Mon bébé de sept mois est présentement souffrant. Les produits prescrits sont introuvables. Je suis à la troisième pharmacie. A chaque fois, ils me proposent des équivalents en générique. Je ne peux prendre le risque de m'amuser avec la santé de mon enfant. Je ne comprends pas pourquoi les médicaments manquent fréquemment dans nos pharmacies », indique dame Dipama, à bout de souffle. Qui est le responsable de cette rupture ? Pourquoi les fournisseurs sont incapables de ravitailler le marché ? De l'avis du président de l'Ordre des pharmaciens, tous les médicaments homologués par le Burkina Faso devraient être disponibles chez les grossistes. Mais pour lui, certains médicaments sont prescrits par les infirmiers sans pour autant être enregistrés par le ministère de la Santé. Aussi, ils sont nombreux les pharmaciens, à l'image de Marcel Ki, qui expliquent cela par la méconnaissance des médicaments disponibles des médecins. « Parfois, les médecins ne connaissent pas les médicaments. Ils les prescrivent parce qu'ils l'ont vu en Europe pendant leurs études ou bien ils consultent le VIDAL pour les prescrire. Alors que c'est un document utilisé en France et non au Burkina », déplore l'officinal. Cependant, le cardiologue, Evariste Dabiré, estime qu'il est très rare pour un docteur de prescrire un médicament qui n'est pas enregistré. « Normalement, les produits homologués devraient être sur le marché alors que cela n'est pas souvent le cas. Ce problème revient aux fournisseurs sur le plan national qui ne prennent pas un certain nombre de produits parce qu'ils sont difficiles àécouler », rétorque le spécialiste en cardiologie. La situation dépeinte dans les deux grandes villes vaut-elle encore mieux que dans les campagnes ? Réponse à qui de droit.
Steven Ozias KIEMTORE
kizozias@yahoo.fr
Serment de Galien
« Je jure, en présence des maîtres de la Faculté, des conseillers de l'Ordre des pharmaciens et de mes condisciples, d'honorer ceux qui m'ont instruit dans les préceptes de mon art et de leur témoigner ma reconnaissance en restant fidèle à leur enseignement ; d'exercer, dans l'intérêt de la santé publique, ma profession avec conscience et de respecter, non seulement la législation en vigueur, mais aussi les règles de l'honneur, de la probité et du désintéressement ; de ne jamais oublier ma responsabilité et mes devoirs envers le malade et sa dignité humaine. En aucun cas, je ne consentirai à utiliser mes connaissances et mon état pour corrompre les mœurs et favoriser des actes criminels. Que les hommes m'accordent leur estime si je suis fidèle à mes paroles ».
Et si l'Etat s'impliquait davantage !
Le développement d'un pays repose sur une population en bonne santé. Pourtant, se soigner convenablement devient de plus en plus difficile pour le citoyen lambda burkinabè. Au regard de la pratique des officines, il est temps que des actions concrètes soient entreprises, tant du côté des autorités que des acteurs du monde des médicaments pour soulager les malades. D'abord, il faut que les officinaux mettent en avant leur conscience professionnelle en respectant le Serment de Galien. Parce qu'ils sont, avant tout, une source de soulagement pour le patient et non le contraire. L'Ordre des pharmaciens doit ouvrir l'œil, surtout le bon, afin de procéder à des contrôles et sanctionner, s'il le faut, ses membres qui ne respectent pas les règles en vigueur. Mais la grande responsabilité revient à l'Etat. Il doit mettre des mécanismes en place pour soutenir, non seulement les pharmaciens et surtout la population. Pour résoudre le problème des prix de médicaments, pourquoi ne pas aller à la mutualisation ? Ou bien lever les taxes existant toujours sur l'importation de certaines spécialités. Notamment celles utilisées dans le traitement des maladies cardio-vasculaires et cancéreuses dans la mesure où ces maux deviennent fréquents. La question de la santé publique se pose avec acuité. Il peut aussi, à l'image de certains pays de la sous- région comme le Sénégal ou la Côte d'Ivoire, subventionner les médicaments liés au traitement des maladies dont la prise en charge exige beaucoup de moyens financiers et humains. Du même coup, cela permettra de renverser la tendance et d'éviter la consommation des médicaments de la rue.
S.O.K
Sidwaya