Suite à la visite « mouvementée » du Premier Ministre Luc Adolphe Tiao à l'Université de Ouagadougou le 18 mars, nous avons souhaité rencontrer le responsable du mouvement syndical étudiant ANEB, Patrice Zoyenga afin qu'il puisse exposer les problèmes et les revendications des étudiants. Peu enclin au discours politicien M. Zoyenga est aussi revenu sur les lancers de pierre et la relation entre étudiants et journalistes. Interview « vérité».
Qu'est-ce que l'ANEB ?
L'ANEB, c'est l'Association Nationale des Etudiants Burkinabè, une organisation à caractère syndical qui a pour rôle la défense des intérêts matériels et moraux des étudiants dans nos universités. Née en même temps que l'Université de Ouagadougou, l'ANEB est une section de l'UGEB (Union Générale des Etudiants Burkinabè) – créée le 27 juillet 1960 - qui a deux sections à l'étranger : l'AEBEF (Association des Etudiants Burkinabè en France) et la section de Dakar. L'ANEB a plusieurs sections au Burkina dont celle de Ouagadougou où le présent comité exécutif a étéélu en novembre 2012.
Quelles sont vos revendications ?
Nos revendications portent sur plusieurs aspects que nous avons synthétisés sous la forme d'une « plateforme revendicative ». Il y a d'abord les questions académiques et pédagogiques, puis les questions sociales. Sur le plan académique et pédagogique, nous demandons d'abord des infrastructures, c'est-à-dire la construction d'amphithéâtres, de salles de cours, de TD, des centres de ressources informatiques, des laboratoires, des bibliothèques ainsi que tout le matériel nécessaire. Il y a de gros manques au niveau des salles. Comme l'université de Ouaga 2, commencée en 2007, n'est toujours pas terminée, certains étudiants reçoivent leurs cours au SIAO. Le problème c'est que lorsque le SIAO veut organiser des activités, on est obligé de mettre les étudiants dehors…
Et à l'université de Ouagadougou, quels sont les problèmes liés au manque d'infrastructures ?
A l'université de Ouagadougou, on a des promotions de plus de 2000 étudiants alors que le plus grand amphithéâtre ne peut en contenir que 1500. Certaines promotions doivent parfois se partager un amphithéâtre, cela entraîne la suppression de certains cours. En 2008, les autorités nous ont promis des laboratoires et, depuis tout ce temps, ils ne sont toujours pas construits. Certains bâtiments devraient être finis depuis des années.
Il y a aussi la question des évaluations et de leur déroulement. Prenez par exemple la promotion Sciences et Technologie en première année. Ils viennent d'avoir leurs résultats : sur 1880 élèves, il y a eu 35 admis, c'est inadmissible. Ces promotions ont fini de composer depuis novembre et c'est seulement en mars qu'on leur donne leurs résultats. Il y a aussi une grosse insuffisance au niveau du nombre d'enseignants ; certains doivent gérer quatre unités d'enseignement en même temps.
Que pensez-vous du « blanchiment technique » proposé par le Premier ministre ?
C'est une question importante. Pour nous, le « blanchiment technique » n'est pas la solution puisqu'il ne s'attaque pas directement aux causes des problèmes. Les autorités fonctionnent toujours comme ça : en 2008, lorsque les étudiants de SVT ont manifesté pour obtenir des laboratoires, elles ont préféré réprimer les étudiants plutôt que de trouver des solutions. On a même fermé l'université du 26 juin jusqu'au 31 juillet, ce qui nous a fait perdre plus d'un mois de cours.
En 2009, ce sont nos enseignants qui ont manifesté. Encore une fois, le gouvernement a préféré traîner les pieds pendant trois mois avant de proposer une solution. En 2011, ils ont fermé l'université une nouvelle fois pendant plus de trois semaines. En tout, on a perdu 6 mois à cause de leur manière de gérer les problèmes. C'est ce qui a conduit à ce chevauchement des années dans lequel nous sommes.
Les autorités sont donc bien conscientes de tous ces problèmes ?
On a synthétisé ces problèmes au sein d'une plateforme revendicative qu'on a déposée auprès des autorités universitaires et ministérielles. Même le Président du Faso a aujourd'hui connaissance de ce dossier. Lorsqu'il a reçu notre organisation en 2011, il a promis de nous rappeler pour proposer ses solutions mais, jusqu'à présent, nous n'avons reçu aucun coup de fil. Donc oui, nos autorités connaissent depuis déjà longtemps les problèmes de l'université.
Aviez-vous lancé un appel à manifester lors de la visite de Premier Ministre ?
Oui, on a lancé un appel aux étudiants pour qu'ils viennent protester et dénoncer cette manière de faire. Comme nous l'avons dit, le premier ministre ne venait rien faire d'autre qu'une parade à l'université. C'était juste une campagne médiatique dans le but de légitimer ce qui va venir par la suite. Vous avez certainement vu le programme officiel : il comptait recevoir 9 associations étudiantes de 17h30 à 18h15 ; 45 mn pour neuf associations c'est vraiment très peu.
Ce qu'on a constaté, c'est que tout le temps de la visite officielle allait être consacréà la visite de chantiers censés être terminés depuis bien longtemps.
Au moment où le Premier Ministre a voulu prendre la parole devant les étudiants de l'Université, le courant s'est coupé. Etait-ce le fait des étudiants ?
Selon vous, les étudiants ont-ils les moyens de couper l'électricité ? Celui qui s'amuse à faire ça est directement électrocuté. Les étudiants n'ont pas envie de prendre ce genre de risques. Les coupures de courant sont très fréquentes à l'université ; les réalités du terrain ont simplement rattrapé le premier ministre. On ne peut pas échapper à la réalité.
Vous déplorez les lancers de pierre ?
Notre organisation a appeléà manifester pour dénoncer la visite du Premier Ministre pas pour jeter des pierres. Néanmoins, il faut remettre ça dans un contexte bien particulier. Aujourd'hui, il y a des étudiants qui ont passé deux ans voire plus à refaire la même année, il y a des étudiants qui, depuis août 2011, n'ont reçu aucune allocation financière, il y a des étudiants qui ne savent pas quoi manger, il y a des étudiants qui ne savent pas où loger, bref, il y a des étudiants dont l'avenir est déjà bafoué…
La situation est telle qu'il y a une indignation générale au niveau de l'université. Tout cela est à mettre sur le dos de nos autorités qui n'ont rien fait pour que la situation s'améliore.
Certains journalistes ont été un peu malmenés pendant la visite du Premier Ministre. Ya-t-il un problème entre les étudiants et la presse ?
Il n'y a pas de problème particulier entre les étudiants et les journalistes. S'il y a eu incompréhension, il suffit de s'expliquer convenablement. La presse doit simplement faire son travail d'information.
Comptez-vous lancer d'autres appels à manifester ?
Ce sont les étudiants, ensemble, qui décideront en fonction de ce que les autorités proposent ou ne proposent pas. Pour l'instant, les problèmes que nous avons répertoriés leur ont été exposés. On attend maintenant leur réaction et, en fonction de celle-ci, on organisera une assemblée générale pour décider.
Etes-vous optimistes ?
Nous osons croire qu'ils feront des propositions concrètes sinon les étudiants n'auront pas d'autre choix que de s'organiser.
Dans la violence ?
Les étudiants ne sont pas violents. Ils vivent et étudient dans des conditions qui sont à la limite du supportable, c'est tout.
Interview réalisée par Pierre Mareczko, stagiaire
Lefaso.net
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