Les évènements survenus à l'Université de Ouagadougou le Lundi 18 Mars dernier lors de la visite du Premier Ministre Luc Adolphe Tiao, montrent à quel point l'exacerbation des impatiences citoyennes dans notre pays peut, si l'on n'y prend garde, conduire à des débordements porteurs de drames.
Sans jeter l'anathème sur qui que ce soit, ni se poser en donneur de leçons, l'UPC regrette que ce qui devait être un débat courtois entre un Chef de gouvernement et le monde universitaire, se soit transformé en une confrontation violente.
La République est par excellence un espace de civilités où, en dépit de nos divergences, nous devons garder notre sang froid, et traiter les autres avec considération, notamment les autorités investies de la mission de diriger les affaires du pays.
Notre parti appelle notre jeunesse estudiantine à la retenue, et l'invite àéviter les comportements empreints de violences qui ne peuvent que ternir son image, et décrédibiliser ses revendications, dont nul ne peut du reste contester qu'elles soient fortement légitimes.
Cet incident, aussi regrettable soit- il, est aussi une occasion pour notre parti, de rappeler à nos dirigeants leurs responsabilités face aux problèmes que connait l'Université au Burkina Faso.
Depuis plus d'une décennie, l'Université de Ouagadougou (et les autres université dans une moindre mesure) connaît des crises à répétition que le Gouvernement peine à résoudre. Et cette crise peine à se résorber parce que le pouvoir de la quatrième république a un certain mépris pour le monde intellectuel. Pour ceux qui nous gouvernent, l'université, avec ses enseignants et ses étudiants, n'est rien qu'un lieu de débats théoriques et de contestation stérile. Ils n'ont pas compris que c'est là que se forment les cerveaux qui, demain, animeront la fonction publique, le secteur privé, et feront marcher tous les compartiments de notre quête collective de bien être.
En l'espace de 30 ans l'Université de Ouagadougou est passé d'un effectif de quelques centaines à de plus de 50 000 étudiants sans que les moyens conséquents n'aient été investis pour accompagner cet accroissement fulgurant.
Le manque de salles, et le manque d'amphithéâtres, conjugués à la pléthore des effectifs, font que certains étudiants ne peuvent suivre les cours qu'à travers les fenêtres, sauf s'ils viennent à 5h du matin au campus pour espérer avoir une place assise en salle. A cela s'ajoutent toutes les difficultés connues comme :
- le manque de logements pour les étudiants (4% de logements pour environ 50.000 étudiants et la fermeture des cités universitaires (Zogona, CNSS, Don Camillio, Tampouy) ;
la faiblesse et la rareté des bourses,
le nombre limité de repas servis au restaurant universitaire (10.000 plats par jour contre 50.000 demandés) ce qui oblige certains étudiants à abandonner les salles de cours pour avoir un repas,
l'absence de système de transport ;
le plafonnement de l'assistance à la santé ;
l'absence de débouchés professionnel après les études, etc.…
Le dénuement dans lequel se trouvent nos étudiants conduit même certains d'entre eux, notamment les jeunes filles, à des comportements peu honorables comme la prostitution.
Que dire de la situation des enseignants dont tout le monde s'accorde pour constater qu'ils n'ont plus aucune motivation à travailler ? Leurs conditions de travail sont déplorables. Leur traitement notamment salarial, n'est pas des meilleurs. Et l'autorité morale qui auparavant allait de pair avec leur fonction, s'est évaporée.
Après la première année blanche en 2000, les autorités ont décidé de lancer une « Refondation de l'Université de Ouagadougou » qui était sensée permettre de résoudre les problèmes et de repartir sur de nouvelles bases. Or, à y regarder de près, cette fameuse refondation n'a abouti qu'à des restructurations (création d'UFR) et à la prise en compte de certains aspects comme la professionnalisation des filières d'études. Aucune mesure conséquente allant dans le sens de l'amélioration réelle des conditions de vie et de travail à l'université de Ouagadougou n'a été entreprise.
La reforme LMD (Licence – Master – Doctorat) intervenue il ya trois ans, n'a rien changéà la situation. Mal préparée et mal conduite, cette reforme a fini de conduire l'Université de Ouagadougou dans l'impasse. Actuellement dans certains UFR, jusqu'à 3 années académiques sont en cours : 2009-2010, 2010-2011, 2011-2012. Les nouveaux bacheliers n'ont pas encore achevés leurs inscriptions à plus forte raison commencé leur année académique 2012-2013 !
La reforme LMD suppose un certain changement de manière de travailler aussi bien de la part des étudiants que du corps professoral. Or, la décision brusque de basculer dans ce système pour répondre aux exigences sur le plan international n'a pas permis aux différents acteurs d'avoir le temps d'acquérir cette culture.
L'une des caractéristiques majeures du système LMD est la diminution drastique des volumes horaires des cours et l'exigence d'un travail personnel accru de la part de l'étudiant. Cela exige aussi de la part des enseignants un changement dans la façon d'enseigner : donner l'essentiel des connaissances dans un temps plus réduit et donner des pistes à l'étudiant pour les approfondir.
Le problème c'est que pour qu'un tel système marche, il faut des investissements conséquents en terme de salles d'études, de bibliothèques, de centres de documentation, d'ordinateurs et d'accès internet haut débit, … toutes choses qui doivent permettre à l'étudiant de mener effectivement ce travail de recherche personnel exigé par le système.
Or, ces investissements fondamentaux pour la réussite du système LMD n'ont jamais été consentis par l'Etat.
Comment un étudiant peut-il réussir dans une matière dont le volume horaire d'enseignement dispensé est passé de 50 à 20 heures, et où il doit lui-même faire au moins 30 heures travail, alors que sa bibliothèque est vide ?
La conséquence immédiate de la mise en œuvre du LMD dans ce contexte est la chute de niveau des étudiants et l'accroissement considérable des taux d'échec.
Une autre des caractéristiques du LMD est l'organisation des niveaux d'études en semestres qu'il faut valider suivant un ordre défini par le parcours. Cette organisation exige de la part des enseignants une réactivité accrue dans les évaluations, les corrections de devoirs et les remises de notes pour les délibérations, car un retard dans un semestre entraîne des répercutions en cascades. Or, avec des effectifs pléthoriques dans les classes (plusieurs centaines) est ce raisonnable de demander à un enseignant intervenant dans plusieurs modules de faire des évaluations et de remettre les notes dans un délai de 2 semaines ?
Dan un tel contexte, on peut, sans l'excuser, comprendre l'exaspération des étudiants, face à l'absence de solutions concrètes à des problèmes qui sont pourtant connus de nos dirigeants et ce, depuis fort longtemps.
Ce d'autant plus que, par le passé, les étudiants ont été abreuvés de promesses de toutes sortes comme la promesse de construction de 4 amphis géants (Université de Ouaga et Université de Ouaga2 depuis 2008) ou la promesse de construction de l'Université Ouaga2,faite en 2007, et jamais suivie d'effet.
Certes, notre Premier ministre est dans son rôle, en allant sur le terrain pour visiter les différents chantiers de construction de la nation. Mais ceux qui ont organisé cette visite ont sans doute commis une erreur en procédant à des réfections et réparations de tout genre pour préparer la visite elle-même : remise en marche des climatiseurs de l'amphi Khadafi, réhabilitation du restaurant universitaire, réfection de voies, etc.… Cette attitude est curieuse car, si l'on veut vraiment que le Premier Ministre vive les réalités de l'université, il faut les lui montrer telle qu'elles sont, et non les masquer. Du reste si des crédits existaient pour ces réparations, pourquoi attendre qu'une visite du Premier Ministre soit programmée, pour les faire ? Pourquoi ne l'avoir pas fait plus tôt ? C'est sans doute ce qui explique que certains aient qualifiée la visite de « parade ».
Notre Premier Ministre doit aussi comprendre, que nos compatriotes n'aiment pas les annonces sans lendemain. Or, dans l'exercice de sa mission, on entend beaucoup de proclamations et de promesses, mais les actions qui doivent les concrétiser ne suivent pas. On en a vu l'illustration parfaite dans son attitude vis-à-vis la corruption où, comme d'autres avant lui, il a fait des annonces tonitruantes, qui n'ont jamais été suivies de la moindre décision concrète.
C'est aussi cela qui peut expliquer l'attitude des étudiants, même si elle ne l'excuse pas.
L'instruction et l'éducation de nos enfants constituent hélas l'exemple le plus emblématique des échecs patents de notre développement. Pour la survie de notre université, et pour l'avenir de notre jeunesse, il est temps que le gouvernement inscrive la question de l'éducation au rang de véritable priorité, et que des solutions urgentes soient trouvées aux maux qui assaillent enseignants et étudiants.
Ce qui s'est passéà l'université montre à quel point la colère populaire monte dans notre pays, sur cette question, comme sur beaucoup d'autres qui touchent à la vie quotidienne de nos compatriotes.
Il nous faut tous prendre garde car notre société couve un malaise de plus en plus profond qui peut conduire un jour à une déflagration généralisée, et rompre brutalement notre fragile équilibre social.
Le problème, c'est qu'on a la nette impression que nos gouvernants ne regardent pas les différents clignotants qui s'allument dans le pays, et qui, par le biais d'incidents isolés comme celui qui s'est passéà l'université, traduisent un véritable ras le bol de nos compatriotes.
Malheureusement, les choses en arrivent à un point, où les Burkinabè sont convaincus que , dans ce domaine, comme dans d'autres, il n'ya comme plus rien à attendre d'un pouvoir dont les membres sont plus occupés à s'enrichir qu'à imaginer un développement mieux partagé au profit de tous. Démocratie, Travail, Solidarité
Pour le Bureau Politique National
Zéphirin Diabré,
Président