Cela fait 44 ans que la journée internationale contre le racisme a été instituée par l'Assemblé générale de l'ONU. Elle est célébrée chaque année le 21 mars pour commémorer les événements de ce jour de 1960. Ce jour là, la police a ouvert le feu et tué 69 personnes lors d'une marche à Sharpeville, en Afrique du Sud. Les manifestants protestaient contre les lois sur les laissez-passer imposés par l'apartheid.
L'objectif de la journée est d'attirer l'attention sur la lutte contre le racisme. Le racisme même s'il ne se manifeste plus par des lynchages, persiste et demeure dans les têtes, dans les raisonnements et à travers certains actes. Aujourd'hui, la ville de Karlsruhe, au sud de l'Allemagne célèbre cette journée pour la première fois.
Alberto Ibraimo pour avoir été une victime du racisme n'a pas voulu rater les actions de sensibilisation que la Mairie de Karlsruhe a organisées contre le fléau le 08 mars dernier. Ibraimo habite à Karlsruhe depuis six ans. C'est en 1981, il avait 16 ans, que le mozambicain a quitté son pays pour vivre en Allemagne. La première ville où il s'installe est Schwedt, la région de Brandebourg dans l'Est du pays.
Ibraimo est presque connu de tous en Allemagne et cela grâce à sa carrière de boxeur. Il a commencéà l'exercer dès son arrivée. "Dans l'une ou l'autre ville, le racisme se vit d'une manière ou d'une autre", dit-il. Ibraimo garde des souvenirs douloureux de son séjour dans l'Est de l'Allemagne. "Dans le métro les blancs ne laissaient pas les noirs s'asseoir. Dès qu'ils voyaient un noir entrer, ils écartaient leurs jambes pour occuper toutes la place".
Pire que cela il en a vu. Son meilleur ami aurait été assassiné dans un train en 1985 dans l'Est de l'Allemagne. « Les passagers l'ont agressé et battu. S'étant aperçu qu'il était mort ils l'ont attaché avec une ficelle et jeté son cadavre par la fenêtre », raconte Ibraimo.
Aujourd'hui le racisme ne se rencontre certes plus en Allemagne sous ces formes barbares. Dans certaines villes, comme Karlsruhe, des provocations de nature raciste seraient quasi inexistants. C'est du reste ce que pense Bakari Diallo, un jeune sénégalais qui connait Karlsruhe pour y avoir vécu il y a cinq ans. "Je n'ai pas vécu d'actes racistes ici. Il y a la liberté et l'histoire de la ville y est peut être pour quelque chose".
Fondée au début du 18ème siècle par Margrave Charles Guillaume de Baden-Durlach, Karlsruhe est réputée être une ville sécurisée. Déjàà cette époque, l'empereur avait instauré des mesures libérales telles que la gratuité du terrain, l'abolition du servage et des redevances, la suppression des impôts pour une durée de vingt ans et la liberté religieuse. Aujourd'hui bien qu'étant une petite ville d'à peu près 300 000 habitants, elle abrite le siège de la Cour Constitutionnelle fédérale, l'instance suprême de la juridiction allemande.
Karlsruhe, à l'opposé d'autres villes allemandes, n'avait jamais célébré la journée mondiale contre le racisme depuis son institution par l'ONU. "Cela est dû probablement au fait qu'il n'y a pas d'actes racistes manifestes ici", suppose Christoph Rapp, coorganisateur des semaines de Karlsruhe contre le racisme. En tant que chargé aux affaires interculturelles et religieuses à la maire de Karlsruhe, Christoph Rapp avoue cependant apprendre de plus en plus des faits qui frisent le racisme. "C'est pourquoi nous voulons maintenant organiser ces journées pour qu'elles servent de sensibilisation. Il semble y avoir de plus en plus d'actes discriminatoires peut-être inconscients, mais aussi conscients".
Des témoignages ne manquent pas. Aliz Müller, une jeune hongroise, n'a apparemment pas de problème, parce que son origine ne s'impose pas à vue d'œil. « Mais dès que j'ouvre ma bouche et qu'on s'aperçoit à travers mon accent que je viens de l'Europe de l'Est, je constate une certaine réserve chez certaines personnes", confie-t-elle. En Allemagne l'image des européens de l'Est est peu positive. De moins en moins certes, mais certains Allemands continuent d'associer le Polonais au vol, le Roumain à la pauvreté, le Russe à la mafia et les femmes en général à la prostitution.
Les étrangers, surtout ceux à la peau sombre, subissent de nos jours encore parfois des contrôles policiers d'une manière arbitraire. Leurs enfants rencontrent également des difficultés dans les écoles. Henry Tchatchou par exemple, un ingénieur camerounais en automobile, dit avoir eu une discussion farouche avec les enseignants d'une école à Karlsruhe au sujet de l'orientation de son enfant. "Juste à cause de la couleur de sa peau, les enseignants lui accorde très peu de parcelle d'intelligence", se plaint-il.
Dans l'enseignement public allemand, il existe selon les Länder (Etats fédéraux), à partir de la quatrième ou la sixième classe des orientations. En fonction de la prestation de l'élève, il peut se retrouver soit au "Hauptschule", au "Realschule" ou au "Gymnasium". Les admis à cette dernière catégorie sont considérés comme les plus intelligents. Après huit ans ils font le baccalauréat, puis entament des études universitaires. Ceux de la "Realschule" sont moins intelligents et pourraient après des examens complémentaires avoir accès à l'université. En revanche, ceux qui font la "Hauptschule" n'ont aucune chance d'aller à l'université.
Plusieurs enfants d'immigrés sont généralement d'office envoyés soit au "Realschule" ou au "Hauptschule". L'apprentissage de métiers est leur éventuel débouché. Pour éviter que leur avenir soit hypothéqué par une orientation discriminatoire, les parents aisés, comme Tchatchou, inscrivent leurs enfants dans des "Gymnasium" privés.
Ces actes discriminatoires sont autant de difficultés que vivent encore de nombreux immigrés en ce 21ème siècle en Allemagne. C'est pourquoi plus de 40 associations d'étrangers se sont joints à la Maire de Karlsruhe pour organiser la campagne contre le racisme. A travers des représentations théâtrales, des projections de films, des conférences et des concerts, les organisateurs veulent contribuer au changement des mentalités. Débutées le 08 mars dernier, les semaines de Karlsruhe contre le racisme prendront fin le 24 mars prochain.
Wendpanga Eric Segueda
Collaborateur
Lefaso.net