Radio des mille collines, voici un nom qui a fait le tour du monde. Tristement célèbre de par son rôle de propagande dans le génocide rwandais de 1994, le cas de la radio des mille collines est abondamment évoqué dans les écoles de journalisme comme dans la rue, comme étant l'exemple à ne jamais reproduire. Aux antipodes des médias de la haine, s'il en existe encore, il y a des médias sans doute moins célèbres, mais dont le travail mérite d'être salué. Sont de ceux-là, au Burkina, la radio Pag-la-yiri de Zabré qui a reçu les félicitations des autorités pour son rôle de pacificateur dans le drame survenu entre communautés peulh et bissa et qui a fait 6 morts dans le premier camp et un mort dans le second. Entre le 30 décembre 2012 et le 1er janvier du nouvel an, la commune de Zabré a vécu dans l'horreur (cf. Mutations N°21 du 15 janvier 2013)
. Au moment où on panse les plaies et scrute l'horizon de la réconciliation et à l'orée de la journée internationale de la femme, Mutations ouvre une fenêtre sur l'association Pag-la-yiri de Zabré, un exemple de femmes motrices de développement.
La radio Pag-la-yiri est une des importantes réalisations à l'actif de l'association du même nom. La radio Pag-la-yiri est un média communautaire qui se veut proche de la population locale, celle de Zabré et de ses environs. Son objectif premier était de donner la parole aux femmes, elles qui sont à l'initiative de l'association et ensuite de la création de la radio. La radio Pag-la-yiri est la seule radio de la commune de Zabré. Elle émet officiellement depuis juin 2009 après une cérémonie d'inauguration en présence de Béatrice Damiba, Présidente du Conseil Supérieur de la communication. La radio Pag-layiri malgré sa particularité de radio « féminine » ou encore communautaire, est aussi une radio généraliste. Elle diffuse sur la fréquence 94.3 en FM et sur un rayon de 100 kilomètres à la ronde.
La capacité de son émetteur lui permet de couvrir intégralement ou partiellement trois provinces voisines que sont : le Boulgou (chef-lieu Tenkodogo), le Zoundwéogo (chef-lieu Manga) et le Nahouri (chef-lieu Pô) dans les régions du Centre-Est et du Centre- Sud. Vue son rayon de couverture, la radio a même acquis une audience au-delà des frontières nationales. Elle inonde par exemple les villages Frontaliers situés sur les territoires togolais et ghanéen. Avant l'apparition de la radio, Pag-la-yiri, c'était plutôt le contraire qui était observé. C'est-à-dire les populations burkinabè dans cette partie du pays étaient connectées sur les radios du Togo et du Ghana.
Maintenant grâce à l'association Pag-la-yiri, c'est une radio burkinabè qui a pris le contrôle des ondes sur cette partie frontalière entre les trois pays. La radio diffuse dans six langues, à savoir le Bissa (langue majoritaire), le Kourssassi, le mooré, le fulfuldé, le Nankana et en français (minorité). En attendant une étude d'audience, le chef des programmes de la radio, Jean Pierre Boussim, estime à plus de 400 milles auditeurs ceux qui écoutent la radio Pag-la-yiri. Les principales productions radiophoniques vont en direction du monde rural. Les émissions portent sur l'agriculture, l'environnement, la santé, l'éducation, la culture du terroir, etc. Ce sont surtout des émissions à vocation de sensibilisation. A côté des émissions, la radio a aussi un volet consacré aux informations de l'actualité. L'actualité locale (communale et régionale), nationale et internationale est diffusée sur la station 94.3 FM. C'est dans ce créneau que la radio Pag-la-yiri réalise certaines synchronisations, notamment avec la radio nationale ou avec Radio France internationale (RFI).
Une contribution déterminante pour la paix Le 30 décembre, dès le matin, une crise qui fera des dommages insoupçonnés, s'empare de Zabré et de ses environs. Alors qu'elle avait commencé plus ou moins dans des villages environnants, c'est finalement le chef-lieu de la commune qui devient le point névralgique de la crise. Au bilan, 7 morts atroces, de nombreuses habitations de Peulhs sont incendiées et des milliers de sans abris deviennent des déplacés ou des réfugiés (certains ayant franchi la frontière avec le Ghana). Le 30 comme le 31 décembre, les autorités locales tentent par des rencontres de désamorcer la tension, mais le ver était déjà dans le fruit. Le mal n'a pas pu être évité. Le 1er janvier, alors que la tension est toujours vive, la radio Pag-la-yiri est autorisée àémettre malgré le couvre-feu de la veille qui a été reconduit en pleine journée, à midi. Selon le chef des programmes de la radio, l'option a été prise de privilégier des messages de paix au détriment des éléments de reportage sur la situation.
Les personnes sont bien choisies et les messages surtout adaptés. La radio a privilégié les autorités coutumières et religieuses en mettant de côté les responsables administratifs ou politiques. De l'avis de la population, ces messages ont participé au retour progressif du calme à Zabré. Les messages étaient diffusés dans différentes langues. Les messages de paix étaient accompagnés d'une sélection musicale toute aussi interpellatrice sur la situation. Pendant 72h ou plus, la radio Pag-la-yiri des femmes de Zabré a suspendu son programme habituel pour appeler au retour de la paix. C'est cet engagement qui lui a valu les félicitations des autorités locales. A l'occasion de la rencontre que le Haut-commissaire de la province du Boulgou a eu avec les autorités locales de Zabré le 11 janvier, le Haut-Commissaire Anatole Yabré, non sans avoir fait allusion à la radio des milles collines, a réitéré plus d'une fois des remerciements et des félicitations à l'endroit de la radio et de l'association Pag-la-yiri.
La radio a été unanimement saluée parce qu'avant le Haut-Commissaire, des autorités coutumières et administratives de Zabré ont tenu le même langage. Un mois après la survenue du drame, le travail de pacification doit se poursuivre. Les déplacés essentiellement de la communauté peulh sont toujours dans les tentes à Tenkodogo et à Youga. C'est pourquoi le travail d'apaisement doit aussi se poursuivre jusqu'au retour des déplacés dans leurs sites habituels.
Cédric Kalissani
MUTATIONS N° 22 du 1er février 2013. Bimensuel burkinabé paraissant le 1er et le 15 du mois (contact :mutations.bf@gmail.com)