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Recours contre les listes de candidatures aux législatives : Au nom des libertés constitutionnelles et de l'éthique démocratique…

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Les premières décisions du conseil constitutionnel dans les recours contre des listes de candidatures aux prochaines législatives devraient être connues ce vendredi 21 Août. Le tout Burkina retient son souffle. Les dispositions querellées du code électoral du 7 avril 2015 (l'article 135) seront-elles retenues par le conseil constitutionnel pour invalider des listes ? Si oui, quelle sera la réaction des partis de l'ancienne majorité qui de toute évidence seront les principaux victimes de la mesure ?

Les risques d'un scrutin non apaisé sont grands. Ils peuvent être conjurés si le droit est dit dans toute sa plénitude républicaine. Cela suppose un conseil constitutionnel au fait de la science juridique et équidistant des intérêts partisans qui s'affrontent en ce moment.
C'est une première qu'au Burkina des listes de candidatures à une élection entraînent tant de recours en annulation. L'explication vient de cette période transitoire pour le moins hybride où l'Etat d'exception cohabite avec la République – président du Faso et députés non élus alors que la constitution est toujours en vigueur, complétée par une charte de transition. Plus directement, cette multiplication des recours – 30 au total - contre les listes de candidatures est la résultante du nouveau code électoral qui a introduit une clause d'inéligibilité bien particulière à son article 135 qui concerne « toutes les personnes ayant soutenu un changement anticonstitutionnel qui porte atteinte au principe de l'alternance démocratique, notamment au principe de la limitation du nombre de mandats présidentiels ayant conduit à une insurrection ou à toute autre forme de soulèvement ».

C'est connu, le législateur burkinabè, le Conseil National de la Transition, s'est appuyé sur la charte africaine de la bonne gouvernance et de la démocratie pour écrire cet article 135 du nouveau code électoral. Ladite charte stipule que les auteurs de changement anticonstitutionnel ne peuvent pas prendre part aux élections qui concourent au rétablissement de l'Etat de droit. Mais dites-moi bonnes gens, défendre un projet de référendum parfaitement légal pour modifier une disposition non verrouillé de la constitution – article 37 – est-ce provoquer un changement anticonstitutionnel ou porter atteinte au principe de l'alternance politique ? Chacun répondra pour lui-même quand bien même une large opinion des Burkinabè y compris parmi les ténors de l'ex opposition était d'avis que la modification de l'article 37 posait plus une question d'éthique démocratique que de légalité républicaine. Or par essence tout ce qui est en rapport avec l'éthique, surtout en politique, est subjectif. Quand cette subjectivité s'exprime dans le cadre légal, elle n'est pas criminelle, tout au plus elle peut paraître pernicieuse par excès d'égoïsme partisan. Mais doit-on reprocher à des citoyens, leur opinion politique, fut-elle tintée d'égoïsme partisan ? N'est-ce pas cela le militantisme et l'engagement politique ?

Bref, on ne refera pas le débat sur la légitimité et la légalité du projet de révision de l'article 37, cependant, le débat actuel sur l'article 135 du code électoral lui ressemble fortement. Il pose aussi des questions de légalité républicaine et d'éthique démocratique. En clair, même si la loi permet d'exclure des candidats aux élections, est-il opportun, notamment pour le respect des libertés démocratiques, de la crédibilité des élections, la paix sociale, de le faire ?

On rappellera que l'article 1er de la constitution proscrit toute discrimination basée sur les opinions politiques. Dans le cas d'espèce, l'article 135 du nouveau code électoral ne discrimine-t-il pas des citoyens sur le droit d'être éligibles (art 12) du fait de leur opinion politique antérieurement exprimée en faveur de la modification d'un article de la constitution ? Pour le cas particulier des députés, cet article n'est-il pas en porte à faux avec l'article 95 de la constitution qui dispose que « aucun membre du parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé en raison des opinions ou votes émis par lui dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions » ? N'est-ce pas que suivant l'exposé des motifs des plaignants qui ont déposé les recours devant le conseil constitutionnel, des députés devraient être condamnés à l'inéligibilité du fait de leur vote en faveur d'un projet de loi dans l'exercice de leur fonction ?

Que les spécialistes du droit constitutionnel nous éclairent la lanterne mais dans notre bonne foi de citoyen lambda, il nous semble qu'au nom des articles 1er, 12 et 95 de la loi fondamentale, le conseil constitutionnel devrait déclarer les dispositions de l'article 135 du code électoral contraires à l'esprit et à la lettre de la constitution. En tout cas, les recours en annulation des listes de candidatures aux législatives donnent l'occasion à cette institution de se prononcer sur le fond de l'article 135 du code électoral. On se souvient que pour des questions de forme, sa saisine sur la question par des députés proches des partis de l'ex majorité n'avait pas prospérée. Cette fois-ci on ne voit pas comment les sages de la République pourraient ne pas se prononcer sur la constitutionnalité de cette loi. En effet, Pour des avertis du droit constitutionnel, l'exception d'inconstitutionnalité, peut et devrait produire ses effets dans l'examen des recours dont le conseil constitutionnel est saisi. De quoi s'agit-il ?

Suivant l'article 157 de la constitution «… si, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la constitution garantit, le conseil constitutionnel peut être saisi de cette question…» Dans la situation présente, il nous semble que les dispositions de l'article 135 du code électoral portent atteinte aux droits et libertés reconnus aux articles 1er, 12 et 95 de la constitution et aux dispositions de l'article 1er de la Charte de la Transition qui prône entre autre le pardon et l'inclusion.

Au demeurant, l'arrêt du 13 juillet de la cour de justice de la CEDEAO ne dit pas autre chose quand il stipule expressément que « le code électoral du Burkina Faso, tel que modifié par la loi n° 005-2015/CNT du 07 avril 2015, est une violation du droit de libre participation aux élections ». Par la même occasion la cour de la CEDEAO dans le même arrêt, ordonnait «à l'Etat du Burkina de lever tous les obstacles à une participation aux élections consécutifs à cette modification ». Rien n'aura été fait dans ce sens bien que le président de la transition avait laissé entendre que « le Burkina Faso, en tant que nation civilisée et respectueuse de l'autorité de la chose jugée et de ses engagements internationaux et dans un souci d'apaisement social, se conformerait au verdict de la cour ». Même si les déclarations du président de la transition ne sont pas opposables au conseil constitutionnel au nom de la séparation des pouvoirs, toute invalidation de candidatures en référence à l'article 135 du code électoral serait un refus incompréhensible de la part de cette institution de reconnaître la hiérarchie de juridiction et les obligations liées aux engagements internationaux du Burkina.

Gageons que ce rubicond ne sera pas franchi ! Il y va de la respectabilité de l'Etat du Burkina et de l'honneur du peuple des insurgés car, il faut le redire, outre la question de légalité de cette politique d'exclusion – exclure les ténors d'un parti de la compétition électorale c'est vouer ce parti à l'immobilisme, donc l'exclure du jeu politique - se pose aussi et fortement une question d'éthique démocratique. Des élections non ouvertes sont-elles crédibles ? Allez poser la question au Burundais.

Derbié Terence Somé
Lefaso.net


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