
Le code électoral révisé, la loi sur le statut des militaires, la question d'électricité, la nouvelle Constitution avec passage à une cinquième République, les jeunes en politique, le Discours sur la situation de la Nation, sont autant de sujets abordés dans le cadre d'un entretien que nous avons eu avec Issiaka Ouédraogo, le président du Conseil d'information et de suivi des actions du gouvernement (CISAG). Laconique, Issiaka Ouédraogo affiche tout de même des points de vue à même de nourrir le débat public du moment. Lisez plutôt !
Que peut-on retenir en termes surtout d'objectifs sur le CISAG ?
Le CISAG est une association apolitique qui a pour objectifs, la promotion d'un cadre de réflexion et d'action, la contribution au renforcement de la paix, de la citoyenneté et des valeurs démocratiques, la participation à tout débat sur des questions de préoccupation des citoyens, de la société civile et du gouvernement, la contribution à la lutte contre l'insécurité alimentaire, la contribution au développement de la culture et du sport, la promotion de l'intégration africaine et de ses valeurs, la promotion des droits de l'homme et de la bonne gouvernance.
Au regard de sa dénomination, on est tenté de se demander s'il s'agit d'une association dont la création a été suscitée par le gouvernement. Est-ce cela ?
Pas du tout. Le gouvernement n'a rien à voir avec la création de cette association. C'est nous qui avons estiméà un moment qu'il y a déficit de communication au niveau du gouvernement au profit de la population. Et nous avons estimé qu'il fallait créer une structure pour essayer de pallier un tant soit peu, ce déficit en créant le CISAG pour informer, conscientiser la population ; et aussi informer le gouvernement sur les préoccupations des gouvernés.
Sur ce dernier point, nous veillons à ce que le gouvernement respecte ses engagements vis-à-vis des populations. C'est en ce sens que nous sommes une association de suivi des actions du gouvernement. Il s'agit d'interpeller l'ensemble des membres du gouvernement sur le respect du programme de gouvernement que le Premier ministre aura décliné en filigrane lors de son discours sur la situation de la Nation devant les représentants du peuple.
Informer, conscientiser, la population. Dans ce sens, qu'avez-vous fait à ce jour ?
Avant l'insurrection, nous avons eu à donner des informations par rapport aux augmentations de prix qui s'étaient opérées entre-temps en 2013 sur les prix du gaz et du carburant. On a essayé d'expliquer un peu aux gens pourquoi ces augmentations.
On a même fait des comparaisons entre les prix au Burkina et les prix dans des pays de la sous-région pour dire que nous sommes parmi les pays qui ont moins augmenté le prix, compte tenu de l'augmentation de ces prix sur le marché mondial.
Après l'insurrection, nous avons aidé des gens àétablir leur pièce d'identité pour pouvoir participer aux élections à venir. Nous aidons aussi ceux qui n'ont pas d'acte de naissance, à les établir.
A vous écouter, l'on note que vous aviez justifié auprès des populations, l'augmentation des prix des hydrocarbures en 2013. Vous défendez donc les décisions et actions du gouvernement ?
Non ; ce n'est pas une défense des actions du gouvernement. Nous essayons d'expliquer aux populations qui n'ont pas l'information juste sur ces augmentations.
Nous avons aussi invité le gouvernement à baisser ces prix dès que le prix sur le marché mondial aura baissé. Nous avons remarqué que lorsqu'il y a augmentation au niveau mondial, les prix sont augmentés à la pompe ; mais lorsqu'il y a diminution, le gouvernement ne diminue pas ces prix à la pompe. En tout cas, cela ne se fait pas de manière systématique ; il faut que les gens réagissent d'une manière ou d'une autre, ou sortent marcher. Cette façon de faire du gouvernement, nous l'avons aussi critiquée. Nous sommes un relais entre l'exécutif et la base.
Vous êtes donc fréquents dans les couloirs des ministères…
Nous prenons surtout attache avec les ministères concernés pour avoir les informations pour ensuite les relayer aux populations.
Quelle est la particularité de vos interventions dans ce contexte de Transition ?
Nous avons fait le constat que certaines OSC ont étéà l'origine de l'insurrection populaire. Mais nous avons également fait le constat dès la mise en route de la Transition, que ce sont des OSC qui ont des partis pris. En réalité, elles ne sont pas neutres comme elles devraient être.
Et il se trouve que ceux qui dirigent la Transition n'ont pas l'expérience de la gestion du pouvoir. Ce qui se passe aujourd'hui, il appartient à nous tous de contribuer à ce que cette Transition se termine bien. Mais comment cela doit-il se faire ?
Cela doit se faire d'abord par la tolérance, la compréhension des uns et des autres sur le terrain. Il faudrait aussi que le gouvernement soit plus ouvert sur un certain nombre de questions.
Aucune œuvre humaine n'est parfaite. Il ne faudrait pas que d'autres acteurs veuillent profiter des tâtonnements de ce gouvernement. Mais certains partis politiques veulent opter pour l'exclusion à travers le code électoral. Nous, nous ne sommes pas pour l'exclusion. L'exclusion amène souvent des problèmes que personne ne peut maîtriser. Vous voyez ce qui se passe actuellement, nous ne savons pas oùça peut nous amener.
En vous écoutant épiloguer sur la question de l'exclusion, on est tenté de noter qu'au sein de votre association, ce sont les questions politiques qui vous intéressent le plus, par rapport aux questions sociales en faveur des populations. Est-ce cela ?
Nous ne nous mêlons pas des questions politiques. Mais de toute façon, quand on parle d'association, c'est parce qu'il y a la paix. C'est pourquoi, nous prônons d'abord la paix. Et le débat sur cette question d'exclusion est un débat auquel nous devons participer. Nous ne pouvons pas nous mettre en marge de ce débat aussi important pour le pays.
Un débat politique tout de même…
Oui, un débat politique qui concerne l'intérêt national. C'est une question qui intéresse les populations aussi. Et nous nous devons de leur apporter l'information juste sur cela pour faire en sorte que l'on puisse éviter des dérapages.
Comment alors comprendre qu'une association apolitique puisse prendre publiquement position par rapport à des questions politiques ?
C'est vrai que notre association a un caractère apolitique. Mais cela ne nous empêche pas de nous mêler de la vie politique lorsque nous pensons qu'il y a un risque de dérapage. Avec la situation actuelle, nous nous devons de donner notre point de vue. Ce qui est tout à fait normal.
Quand vous prenez les religieux, ils sont apolitiques. Mais lorsque la paix nationale est menacée par des questions politiques, on leur fait recours pour qu'ils donnent leur point de vue. Est-ce pour autant qu'ils sont politiques ?
Mais quelle est alors cette « information juste » que vous entendez apporter aux populations de nos campagnes dans ce débat - finissant - sur le code électoral ?
Ce que je dirai à ces populations, c'est d'abord notre attachement à la paix, à la stabilité dans ce pays. Si nous pensons que c'est la majorité des Burkinabè qui sont sortis demander le départ du président Blaise Compaoré, si nous devons nous en tenir à cette majorité, on doit respecter la volonté de cette majorité.
Mais nous voulons que les populations comprennent que nous sommes fils de ce pays. Nous devons nous asseoir discuter entre nous, nous comprendre en convenant que l'intérêt de ce pays dépend de la compréhension entre nous. Cet intérêt dépend aussi de l'acceptation des uns et des autres. Les différences qu'il y a entre nous, il faut qu'elles soient respectées.
Pour être plus précis, supposons par exemple qu'un citoyen ‘'lambda'' si vous me permettez l'expression, vous approche et vous dise ceci : ‘'j'ai appris qu'une loi a été adoptée pour exclure une partie des Burkinabè des élections à venir''. Que lui diriez-vous pour qu'il comprenne mieux le débat qu'il y a autour du code électoral adopté le 7 avril dernier ?
Le CISAG dira tout simplement à ce citoyen que c'est la volonté du peuple qui a été exprimée dans cette loi électorale. En tout cas, c'est ce que le CNT et le ministre de l'administration territoriale ont dit le jour du vote de cette loi.
Le CISAG ne donnera pas aux populations des informations qui ne sont pas fiables. Mais ce que nous pouvons faire d'autre par rapport à cette loi, c'est de travailler à trouver un juste milieu entre les protagonistes autour de cette question d'exclusion pour qu'on puisse éviter des dérapages. Pour nous, il faut que les gens acceptent de se surpasser.
Etant donné que le CISAG s'intéresse aux questions politiques, vous qui en êtes le président, comment avez-vous accueilli l'adoption de la loi sur le statut des personnels militaires, quand on sait que cette loi exige des militaires qui veulent exercer un mandat politique, de démissionner au préalable, de l'armée ?
Je trouve que cela est tout à fait normal. Un militaire qui veut se lancer en politique, doit démissionner de l'armée. Nous sommes d'accord avec cette loi.
Est-ce qu'on peut véritablement attendre le respect scrupuleux de cette disposition, quand on sait que pareille disposition frappe depuis longtemps les magistrats, mais que nombre de ces derniers l'ont foulée au pied ?
Permettez- moi de nuancer un peu vos propos. Dans le statut actuel de la magistrature, il est permis au magistrat de faire la politique s'il obtient une disponibilité ou s'il démissionne. Le magistrat a donc deux options, soit prendre une disponibilité soit démissionner.
Pour revenir à votre question, je dirai que comme il a été dit que plus rien ne sera comme avant, nous pensons qu'elle sera respectée.
Depuis quelques mois, des désagréments tenant à la rareté de l'électricité se font de plus en plus sentir. Alors, vous qui entendez faire en sorte que les populations comprennent mieux les actions, inactions et interventions des autorités, quelles explications avez-vous recueillies au profit des citoyens burkinabè ?
Ce que nous avons remarqué, c'est qu'il y avait du tâtonnement au niveau du gouvernement. On n'avait aucune explication claire sur les coupures de courant. Tantôt, c'est du gas-oil qui manque, tantôt ce sont des fils qui sont coupés quelque part. Nous pensons qu'un gouvernement ne doit pas travailler comme ça. Le gouvernement doit donner des explications claires aux populations.
Et dans ce cas précis, quelle est selon vous, l'explication claire qui convainque ?
La SONABEL est mieux placée pour donner cette explication. En tout cas, à notre niveau, nous n'avons pas entrepris de démarches pour pouvoir expliquer aux populations ce qui fait que l'énergie est défaillante.
Mais nous allons bientôt entreprendre un certain nombre de démarches auprès du ministère en charge de l'énergie, auprès du CNT (Conseil national de la Transition, ndlr), pour comprendre un peu certains sujets précis.
Revenons aux questions d'ordre politique. Récemment, le chef de l'Etat indiquait depuis Paris où il était en visite, que le Burkina Faso doit se doter d'une nouvelle Constitution et passer à une cinquième République. Comment appréciez-vous l'opportunité et l'incidence de cette déclaration ?
Moi je trouve que les gens sont mesquins. Je trouve que la déclaration du président Kafando est juste. Il faut qu'on ait une nouvelle Constitution et qu'on passe à une cinquième République.
Moi je ne vois pas ici, en quoi le président Kafando s'est mal exprimé. J'ai entendu des gens dire qu'il ne lui appartient pas de faire des déclarations de ce genre. Mais à qui cela appartient-il ?
C'est lui le garant de la Constitution. Pensez-vous qu'il y a quelqu'un mieux placé que lui pour parler de la Constitution. Moi je pense que non.
Maintenant, si certains trouvent en ces propos un parti pris de sa part, je pense qu'on lui fait un faux procès.
Et quand il a dit que Roch Marc Christian Kaboré peut se présenter aux élections, j'ai entendu des gens dire que ce n'est pas à lui de dire cela. Si la question lui a été posée et qu'au regard de la Charte Roch Marc Christian Kaboré ne fait pas partie des gens qui ont soutenu le projet de modification de l'article 37 jusqu'à la dernière minute, je ne vois pas pourquoi le président ne peut pas tenir de tels propos.
Mais en parlant ainsi, il semble avoir validé la candidature de ce monsieur. Ce qui, dans une République comme la nôtre, relève de la compétence du Conseil constitutionnel. N'est-ce pas là, une usurpation de compétence ?
Non, moi je ne vois pas cela comme ça. Voyez-vous, j'ai toujours dit qu'il faut que nous ayons des comportements sages pour affronter les défis qui se présentent à ce pays. L'erreur est humaine.
Le président Kafando a donc commis une erreur ?
Comme vous l'avez bien dit, il appartient au Conseil constitutionnel de dire qui sont ceux qui peuvent aller aux élections. Mais si lui, il l'a dit, ça peut être une erreur de communication.
Une erreur, ou ça peut l'être ?
Je dis bien que ça peut être une erreur de communication. C'est un humain. Ça peut arriver à tout le monde. Surtout quand on sait que les journalistes aiment piéger les gens. Il est tombé dans un piège. Je ne trouve pas utile de prendre cela en mal.
Et ce n'est pas parce que le président Kafando a parlé ainsi que le Conseil constitutionnel va nécessairement valider la candidature de Roch. Si les textes le défavorisent, il ne sera pas retenu par le Conseil constitutionnel. Pour moi, ce que les gens disent par rapport à cela, c'est un débat inutile.
Comme vous vous intéressez à l'explication de questions politiques, assurez-vous, ou avez-vous prévu d'assurer une formation politique et idéologique aux membres du CISAG, quand on sait que les décisions politiques s'inscrivent le plus souvent en droite ligne d'une vision idéologique ?
Oui, nous allons former nos membres. La formation politique est nécessaire ; cela permettra à nos membres de pouvoir donner leur point de vue sur un certain nombre de questions. Je dois préciser que le CISAG ne vise pas la conquête du pouvoir d'Etat.
Mais le CISAG peut constituer une pépinière de politiciens…
Non, pas du tout. Le CISAG ne peut constituer une pépinière de politiciens. Ce n'est pas le rôle du CISAG.
Le CISAG peut former des gens sur des questions politiques pour leur permettre de mieux échanger avec les populations cibles. Quand on n'a pas une formation politique, on ne peut pas comprendre certaines questions politiques pour être en mesure de les expliquer.
Au-delà de la formation politique, le CISAG entend former les cadres de l'administration publique sur des questions précises. Nous avons également envisagé de donner des formations aux délégations spéciales sur des thèmes bien précis dans leurs domaines d'intervention.
Nombre d'études ont révélé que les jeunes au Burkina ne s'intéressent pas à la politique. Ils préfèrent militer au sein d'organisations de la société civile qu'au sein de partis politiques. Qu'est-ce qui, selon vous, explique cela ?
A un moment donné, les jeunes n'avaient plus espoir. Ils se disaient qu'ils sont dans un système où rien ne peut changer en leur faveur, comme s'ils étaient inexistants.
Mais ils ont eu le courage de sortir pour faire l'insurrection populaire et stopper ainsi le processus de modification de l'article 37 de la Constitution. A partir de là, ils ont démontré qu'ils s'intéressent aux questions politiques. Ce qui est déjà bien. On peut espérer que dorénavant ils seront actifs en politique de sorte à participer véritablement aux élections de dirigeants. Il y a une lueur d'espoir quant à l'implication des jeunes en politique.
On peut donc espérer que bientôt, des jeunes leaders politiques vont de plus en plus s'afficher comme présidents de partis politiques et au rang desquels on pourra vous compter ?
Non, ça ne m'intéresse pas d'être président d'un parti politique. Au sein du CISAG, nous travaillons d'abord à asseoir une association stable et crédible. Nous tenons à notre neutralité, tout en informant sur les actions du gouvernement. Nous ne voulons pas prendre parti pour tel ou tel camp. C'est pour cela, nous ne sommes pas sortis pendant l'insurrection. Mais nous tenons, comme nous n'avions pas encore eu l'occasion, à présenter nos condoléances aux familles endeuillées par ces événements des 30 et 31 octobre 2014.
Comment appréciez-vous la déclinaison – faite par le Premier ministre dans son Discours sur la situation de la Nation - des problèmes auxquels notre pays est confronté ?
Dans l'ensemble le Premier ministre a fait une bonne prestation devant le CNT tant dans le discours qu'il a prononcé que lors des réponses aux questions des députés. A travers son discours, il a su relever les difficultés auxquelles le pays est confronté aussi bien dans le domaine de la gouvernance politique, institutionnelle, juridictionnelle, administrative, locale, sociale, économique et financière que sur les questions de développement durable.
Et comment appréciez-vous les solutions qu'il a proposées ?
Les solutions proposées nous semblent bonnes et à la hauteur des attentes du peuple insurgé. Par exemple sur la question de la justice, on est tous unanimes qu'une refonte des textes s'impose pour donner plus d'indépendance à la justice afin qu'elle puisse regagner la confiance des populations. Et la tenue des états généraux sur la justice ainsi que l'adoption du pacte sur le renouveau de cette justice marque la volonté du gouvernement de prendre en compte les aspirations des populations pour une justice crédible et débarrassée de tous les maux qu'elle traverse actuellement.
Par ailleurs, sur la question de l'emploi, la décision du gouvernement d'adopter un Programme socioéconomique d'urgence de la transition (PSUT) d'un coût total de 25 milliards de FCFA est très salutaire. Il permettra de résorber un tant soit peu, le chômage grâce au soutien aux initiatives des jeunes et des femmes. Il en est de même dans les domaines de l'éducation et de la santé qui vont connaître une amélioration grâce au renforcement des infrastructures éducatives et sanitaires prévu par le PSUT.
Les perspectives dégagées, sont-elles, selon vous, pertinentes et réalistes ?
Nous pensons que les perspectives dégagées sont non seulement pertinentes, mais réalisables. Pour prendre l'exemple du secteur de l'énergie, l'idée de construire une centrale solaire photovoltaïque de 33 MW à Zagtouli est très pertinente. Notre pays qui ne peut envisager le nucléaire en raison des risques qu'un tel projet engendre a intérêt à construire des centrales solaires autant que possible. Sur la question du RSP (Régiment de sécurité présidentielle, ndlr) nous félicitons le Premier ministre pour la position qu'il a adoptée. Comme lui, nous réaffirmons qu'en tant que corps d'élite, le RSP doit non seulement demeurer mais aussi être renforcé.
Quel message le CISAG a-t-il pour un Burkina post-transition de paix ?
Il faut qu'il y ait la solidarité entre les fils de ce pays. Nous avons tous intérêt à contribuer pour la consolidation de la démocratie dans notre pays. Pour ce faire, il faut qu'on cesse d'être mesquin. C'est ainsi que l'on pourrait instaurer une démocratie à la burkinabé.
Entretien réalisé par Fulbert Paré
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