
Mercredi, 27 mai 2015, troisième jour des travaux d'exhumation des restes de Thomas Sankara et de ses douze compagnons, la mobilisation des populations est retombée mais, l'intérêt des uns et des autres n'a pas changé d'un cran… De près ou de loin !
La sécuritéà l'entrée du cimetière est toujours de mise. Interdiction totale de s'immobiliser à quelques encablures de l'entrée, quand bien même le passage est ouvert à la circulation. Même ceux qui veulent se jouer les ‘'malins'' en se perchant sur les murs des concessions voisines sont tout de suite découragés dans leur projet de satisfaire leur curiosité. Le regard des éléments de sécurité est interrogatif, expressif et bien catégorique.
Ce moment de travaux d'exhumation a remis au goût du jour, de nombreux sujets y relatifs. Des objets aussi. On commente. On ‘'commerce''. Un peu plus loin au nord du cimetière, c'est un petit marché spontané qui est né. Un marché où n'ont droit d'exposition que les objets qui portent sur l'« idole », Thomas Sankara, et les images de l'insurrection populaire (posters, autocollants, journaux, DVD, flyers, etc.).
« Je n'ai pas connu Thomas Sankara mais ce qu'on m'a dit de lui m'a beaucoup marqué. C'est ce qui m'a inspiré la vente des objets à son effigie ou retraçant sa vie. Les posters ou films sur Sankara sont déjà un moyen pour inculquer aux jeunes générations, ce qu'il a défendu comme valeurs. Il y a encore des endroits au Burkina où on ne connaît Sankara que de nom. De même que sa femme. Mais à travers ces objets, ils découvrent le visage de Sankara, et même de sa femme », a expliqué Gilbert Silga, vendeur de ces objets, avant d'ajouter : « Je les vends mais quand je regarde les images, j'ai mal. Mon seul souhait aujourd'hui, c'est qu'on puisse faire toute la lumière sur l'assassinat de ce grand homme et ses compagnons. Qu'ensuite, on puisse réorganiser son enterrement en bonne et due forme pour que nous puissions l'accompagner comme il se doit à sa dernière demeure ».
A l'en croire, depuis que l'idée de l'exhumation a été lancée, il n'y avait jamais cru un seul instant, jusqu'à ce les travaux démarrent effectivement le lundi dernier. Il dit croire maintenant que dans la vie, tout est possible et que « la vérité sur cette affaire n'est plus loin encore ». Il dit souhaiter de tout son vœu que le Burkina ait un autre Sankara ou même plus. Saluant la « combativité» et la « persévérance » de Me Bénéwendé Stanislas Sankara dans le cadre de ce dossier. « Nous avons écouté l'intervention de Me Sankara (mardi 26 mai, ndlr) et nous sommes fiers de lui. C'est un homme de conviction qui s'est donné corps et âme dans la lutte jusqu'à ce jour. Je suis venu en politique en tant que militant d'un des grands partis du Burkina. Mais, ces derniers temps, j'ai ‘'démissionné'' pour rallier aux Sankaristes parce que j'ai compris que c'est là que se trouve la vérité. Tous les autres ont été avec le régime de Blaise Compaoré. Je crois à un changement vrai au Burkina à partir du moment où le régime de Blaise Compaoré est déchu. Tous ceux que vous voyez ici, tous ces jeunes, personne ne peut dire qu'il n'aime pas Thomas Sankara, quand bien même ils ne l'ont pas connu. Même mort, Thomas Sankara vaut mieux que certains Présidents vivants », s'est étalé Gilbert Silga avant de recommander : « dans la vie, cultivez la vérité car, elle est un remède. Quand tu es sur le chemin de la vérité, personne ne peut contre toi ».
« Même mort, Thomas Sankara continue de nourrir des gens », fait remarquer un passant au sujet de ce petit commerce. Ici, le ‘'maître'' des lieux est clair : « seuls les révolutionnaires ont accès à ce lieu ». L'ambiance est aux allures de toutes sortes de commentaires. ‘'On'' a le CV (curriculum vitae) détaillé des uns et des autres. Des barons du régime déchu aux ‘'hommes forts'' de la transition. On trace et retrace la vie de Thomas Sankara. On fait et défait le parcours de ceux qu'on estime être ses « ennemis ». A la recherche de coupables, les uns et autres estiment que tous ceux qui ont géré le pouvoir avec Blaise Compaoré doivent répondre. Tous les hommes politiques sont passés au peigne fin, les uns de façon acerbe que les autres. « Thomas Sankara n'est pas vivant, mais il mobilise comme s'il était en campagne électorale. Cela est la résultante de son honnêteté et de son intégrité», fait constater Olivier avant de se révolter qu'on ait « humilié Thomas Sankara plus qu'on n'humilie même son rival », se référant à sa tombe.
L'interdiction d'accès aux cimetières, toujours diversement perçue !
« Cette fois-ci, les choses sont allées pour de bon…et la vérité n'est plus loin », s'est réjoui Hamidou au sujet du processus de l'exhumation. Contrairement à lui, certains préfèrent observer encore la prudence, arguant que « ceux qui sont dans les cimetières ne sont pas des révolutionnaires ».
C'est l'avis M. Tapsoba qui s'est insurgé : « Ce qui me fait mal, c'est qu'on ait interdit nos bouche et oreilles d'avoir accès aux lieux (référence faite aux journalistes). Les voilà assis là-bas (il indexe les éléments de la sécurité), ce sont eux qui empêchent les gens… Au nom de Dieu, si j'avais le pouvoir, j'allais les endormir tous, tout de suite, et rentrer voir ce qui s'y passe. Moi, je n'ai plus confiance à quelqu'un dans ce pays. Sankara est notre idole et on ne doit pas nous empêcher de voir clair dans ce qui s'y passe. On a dit qu'il y a un Français dans l'équipe et cela ne me rassure pas ». Il pousse loin son analyse, lorsqu'un de ses interlocuteurs tente de lui faire comprendre l'interdiction d'accès : « Dis, peuvent-ils empêcher le satellite des USA de suivre actuellement tout ce qui se passe à l'intérieur ? C'est sur nous ils font ça, les USA sont connectés actuellement et suivent tout ce qui se passe à l'intérieur des cimetières. A quoi bon donc de nous empêcher, entre nous ici, pendant que les autres suivent ça de loin ? ».
Sur l'interdiction d'accès au public, certains tentent d'expliquer les bien-fondés aux ‘'frustrés''. Pour eux, même en temps normal, et dans la tradition africaine, l'exhumation d'une tombe n'est pas populaire ; elle se fait dans la discrétion. « C'est un travail qui est réservéà des personnes averties. On ne permet pas à tout le monde d'avoir accès, de s'y approcher, parce que si certains voient les restes, ils peuvent piquer des crises, des folies ou d'autres maladies incurables. Même les odeurs qui s'y dégagent ne sont pas bien pour l'être humain. Voilà pourquoi on ne permet pas à tout le monde d'avoir accès », a expliqué Salif T.
O.L.O
Lefaso.net